Cérémonie du 14 juin.

La cérémonie du 14 juin 1952

L’histoire de Marine Industries et celle de Sorel Industries a été ponctuée de cérémonies soulignant la mise en service des produits manufacturés par les deux entreprises. L’une de ces cérémonies s’est déroulée il y a 70 ans, le 14 juin 1952. Cette cérémonie est importante, puisqu’elle annonce la réalisation du contrat de la Marine Royale Canadienne par Marine Industries. Cette entente avait pour objectif de reconditionner des frégates et des balayeurs de mines de l’armée canadienne, ainsi que la construction de deux navires-escortes et de balayeurs de mines. À la même cérémonie, Sorel Industries présente plutôt deux nouveaux modèles de canon : l’un électronique de 3ʺ/50 et l’autre de 120 mm, tous deux destinés à l’armée américaine.

Cette cérémonie fit la démonstration de la vitalité de l’industrie militaire soreloise, qui connut une certaine reprise de ses opérations après la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ce dynamisme s’explique par les besoins militaires créés par la Guerre de Corée (1950-1953) et la Guerre froide (1947-1991). C’est aussi ce contexte géopolitique qui explique en bonne partie la collaboration étroite entre l’armée canadienne et américaine, notamment en ce qui concerne la protection conjointe des côtes de l’Arctique.

Les archives témoignant de la cérémonie

Pour témoigner de cette journée symbolique, il existe plusieurs documents d’archives dans notre dépôt qui témoignent de l’événement : dans le fonds de Sorel Industries, mais aussi dans ceux de ses principaux dirigeants, Édouard Simard et Joseph Simard. Il s’agit de documents textuels, de documents iconographiques, d’enregistrements sonores et d’images en mouvement.

Par exemple, nous possédons des cartons d’invitations qui témoignent de la présence de diverses personnalités publiques.[1] La correspondance entre divers ministères canadiens et l’administration soreloise nous renseigne sur la planification de l’événement.[2] Nous avons aussi une multitude de photographies prises lors de l’événement et des différentes étapes de la fabrication des canons et des bateaux.[3]

Carton d'invitation
SHPS, P176,S2,SS1,SSS4,D2

Les cérémonies ont également fait l’objet d’un reportage radiophonique par Radio-Canada, présenté par les journalistes René Lévesque et Lucien Côté, dont nous avons les enregistrements sonores. Ils sont divisés en cinq disques de 33 1/2 tours (2 faces) d’environ 6 minutes chacune.[4]

Des archives cinématographiques ont également été prises lors de l’événement et témoignent des diverses activités qui s’y sont déroulées, des installations mises sur pied pour cet événement, de la visite des usines, des essais du fonctionnement automatisé des canons, de la revue d’officiers de la Marine canadienne, de vols d’avions militaires en formation, de la prestation d’une harmonie musicale et, en plus, du lancement des bateaux Labrador et Chignecto. Sur ces enregistrements sonores et visuels, on peut entendre plusieurs intervenants, dont Édouard Simard, effectuer des discours adressés à une foule de plusieurs milliers de personnes.[5]

Srapbook à propos du 14 juin 1952.
SHPS, P176,S2,SS1,SSS4,D2.

Le protocole

La réalisation de ces contrats fut l’occasion pour les dirigeants des entreprises soreloises de faire les choses en grand lors de la réception des invités de marque. La plupart d’entre eux arrivèrent par un train, appelé le «Sorel Special», qui termina son trajet directement dans la bâtisse de Sorel Industries.[6]

On compte parmi les représentants politiques et militaires canadiens le très honorable M. Louis Saint-Laurent, premier ministre du Canada, le très honorable, Clarence Decatur Howe, ministre canadien de la Production de Défense et l’honorable Brooke Claxton, ministre canadien de la Défense nationale. Dans le cas des États-Unis, on recense : le contre-amiral Malcom F. Schoeffel, Chef du Bureau d’ordonnance du Ministère de la Marine des États-Unis, le major général Alfred Bixby Jr. Quinton, du Bureau d’ordonnance de l’Armée des États-Unis et son excellence l’honorable Stanley Woodward, ambassadeur des États-Unis au Canada.

Pour ces qui est des représentants locaux : Mgr Arthur Douville, évêque du diocèse de St-Hyacinthe, M. Édouard Simard, président de Sorel Industries Limited, M. Joseph Simard, président de Marine Industries Limited, M. Ludger Simard, directeur général de Marine Industries Limited et M. Gérard Cournoyer, député de la circonscription fédérale de Richelieu-Verchères.

Comme on peut le lire dans le programme de cérémonie :

SHPS, P176,S2,SS1,SSS4,D2.

MATINÉE

Heure avancée

11 :00 am           Arrivée du train « Sorel Spécial »

11 :15 am           Inspection de la garde d’honneur du H.M.C.S. « Québec », par le Très Honorable Louis S. St-Laurent

11 :30 am            Visite de l’usine

APRÈS-MIDI

12 :30 pm           Rafraîchissement et buffet

2 :30 pm             Baptème des Navires :   H.M.C.S. « Labrador »

                                                                                              Marraine : Madame Louis S. St-Laurent

                                                                  H.M.C.S. « Chignecto »

                                                                                              Marraine : Madame Brooke Claxton

                             Bénédiction des navires par SON EXCELLENCE MGR. A. Douville

                                                                                              Évèque de St-Hyacinthe

3 :00 pm              Présentation des canons :

                                                                               « God Save the Queen »

                                                                               « The Star Spangled Banner »

                             Allocution :         M. J. Edouard Simard, D. Sc.

                                                                                              Président de Sorel Industries Limited

                                                         Le TRÈS HONORABLE C. D. Howe, C.P.,

                                                                                              Ministre de la Production pour la Défense

                                                          Le CONTRE-AMIRAL M. F. Schoeffel, USN,

Chef du Bureau d’ordonnance du Ministère de la Marine des États-Unis, Washington, D.C.

                                                          L’HONORABLE Brooke Claxton, C.B.,

Du Bureau d’ordonnance de l’Armée des États-Unis

                                                           SON EXCELLENCE L’HONORABLE STANLEY WOODWARD,

                                                                                              Ambassadeur des États-Unis au Canada

                                                           MONSIEUR GÉRARD COURNOYER, M.P.,

                                                                                              Député de Richelieu-Verchères

                                                           LE TRÈS HONORABLE LOUIS S. ST-LAURENT,

                                                                                              Premier Ministre du Canada

                                                                                              Et Président du Conseil Privé

4 :30 pm              Clôture de cérémonie : « O Canada »

5 :00 pm              Départ du train « Sorel Spécial »

Programme Musical : Morceaux choisis, par la fanfare de la Marine Royale Canadienne et celle du Royal 22e Régiment. Chants par la chorale de Sorel. [7]

Descriptions techniques

Le programme de la cérémonie nous donne de l’information technique sur chacune des nouveautés présentées et nous permet de comprendre les innovations démontrées par les usines soreloises et  leurs employés, ce qui ajoute à la singularité de la cérémonie. [8] 

Le Labrador, brise-glace

Labrador est le premier navire de la Marine royale canadienne à fonctionner entièrement au diesel-électrique. Ce navire construit pour effectuer la patrouille de l’Arctique mesure 269 pieds de longueur sur 63½ pieds de largueur. Doté d’une coque en acier à haute résistance de 1⅝ %, solidement renforcé à l’intérieur, pourvu d’un appareil diesel-électrique de 10,000 hp. (horse power/chevaux-vapeur), le « Labrador » est alors l’un des plus puissants brise-glace au monde.

C’est aussi le premier navire construit en Amérique du Nord à incorporer le système de stabilisation Denny-Brown, crée en Angleterre et qui assurera à ce patrouilleur une plateforme plus stable pour les armes de défense et pour le lancement des deux hélicoptères qu’il portera. Il sera en mission dans l’Arctique et aura un équipage de 173 hommes, dont 13 officiers. Le Labrador est construit dans les chantiers de Marine Industries Limited en utilisant des plans modifiés des navires de patrouilles de classe Wind de la garde côtière des États-Unis. Les plans sont modifiés pour inclure les derniers équipements scientifiques et pour passer du navire purement militaire américain à un navire qui peut aussi bien servir de laboratoire, d’hôpital, de transport, de sauvetage et d’école.

Le Labrador est conçu comme le premier brise-glace canadien moderne, destiné non seulement à remplir les besoins de la défense nationale dans l’Arctique, d’explorer cette vaste zone pour recenser ses richesses naturelles. Sa fabrication permettait à la Marine canadienne de combler cette lacune technique qui l’avait empêché jusqu’alors d’affirmer la souveraineté canadienne sur ce territoire. Il fut d’ailleurs le premier navire à franchir le passage du Nord-Ouest dans les deux sens.[9]

HMCS Chignecto

Le Chignecto a une charpente qui soutient sa coque de bois faite d’alliage d’aluminium, de même que sa superstructure. Mû par des moteurs à diesel, doté des appareils les plus avancés pour la navigation au radar et l’enlèvement des mines, le « Chignecto » mesure 152 pieds de longueur et peut contenir plus de 390 tonnes. Il peut transporter un équipage d’une quarantaine de membres.[10]

SHPS, P176, S2, SS1, SSS4, D2.

Canon électronique 3 »/50

Ces canons sont les armes les plus efficaces qui aient été conçues jusqu’ici pour les combats de surface et la défense anti-avions. Leur fabrication a nécessité l’assemblage de plus de 28,000 pièces composées elles-mêmes de 125 métaux différents et exigeant plus de 30,000 opérations mécaniques réalisées avec 25,000 machines, outils et calibres. Ce sont les mécanismes les plus compliqués qu’on ait encore usinés au Canada. Dans chacun de ces canons jumelés, d’un poids de 16 tonnes, il y a 192 pièces moulées, ferreuses et non ferreuses, et 145 différentes pièces forgées.[11]

SHPS, P001,S5,SS6,D1.
Présentation des canons
SHPS, P176, S2, SS1, SSS4, D2.

Canon  de 120  mm pour  l’armée américaine

Ce canon de défense anti-avions a été surnommé le « gratte-ciel » par ceux qui connaissent la portée extrêmement étendue de son tir. Bien que la plupart des détails de sa construction restent secrets, on peut dire que les 483 pièces qui composent le canon proprement dit et le mécanisme de culasse exigent 47 métaux différents. Chaque canon de 24 pieds exige un lingot de 15 tonnes pour la forge d’une pièce de 8 tonnes qui, une fois complètement ouvrée, pèse 3¾ tonnes. Le canon et le mécanisme de la culasse requièrent à eux seuls 1,700 opérations mécaniques.[12]

Réputation et savoir-faire des usines soreloises et de leurs employés

Si l’octroi de contrats militaires par l’armée américaine à Sorel Industries peut paraître surprenant, elle s’explique peut-être par la réputation acquise par les usines soreloises et à la qualité du travail effectué par leurs employés. Après tout, Marine Industries Limited a construit, dès 1937, un grand nombre d’unités navales (corvettes, dragueurs de mines et vaisseaux de ravitaillement) et de cargos pour les Alliés. Ils ont permis le transport et la protection de convois à travers l’Atlantique, sans lequel les canons et les obus n’auraient pu parvenir aux champs de bataille.

Quant à elle, l’usine de Sorel Industries a produit des canons navals de 4 pouces pour la Grande-Bretagne et de nombreux canons de 90mm, 100mm, 138mm et 152mm et d’obusiers de 105mm pour le Canada. Il en est de même pour les États-Unis, qui on reçu en plus des obus de 8 pouces et des canons de 240mm.

Ces productions, avec les canons de campagne à projectiles de 25 livres avec leurs affûts, joueront un rôle considérable dans les victoires alliées dans l’Atlantique-Nord, dans les déserts d’Afrique du Nord et celles en Europe.[13] Ils serviront notamment aux divisions blindées du Commonwealth et de la Pologne durant la Deuxième Guerre mondiale lors des affrontements en Italie et dans le nord-ouest de l’Europe de 1943 à 1945.

Leur mise en opération avait d’ailleurs donné lieu a une autre grande cérémonie le 1er juillet 1941 en la présence d’Ernest Lapointe, vice-premier ministre du Canada et ministre de la Justice, de Clarence Decatur Howe, ministre des Munitions et des Approvisionnements, Joseph-Willie Robidoux, maire de Sorel, Adélard Godbout, premier ministre du Québec et Pierre-François Casgrain, secrétaire d’État du Canada.

Conclusion

Cette cérémonie du 14 juin fut une réussite totale pour la direction des deux usines soreloises, qui connu un rayonnement provincial et fit la première page de plusieurs quotidiens de la province le 16 juin 1952.[14]

Cette journée consacrera le dynamisme des industries soreloises et particulièrement de l’avant-gardisme de la direction, démontrée par les frères Simard. Les contrats militaires se poursuivèrent dans les années 1960 et 1970 avant de laisser la place aux commandes de bateaux civils de type brise-glace et cargo dans les années 80. Quant à Sorel Industries, elle fut absorbée par la Compagnie Beloit au courant des années 1960.

Cette énergie combinée des trois frères, qui avaient su insufflée ensemble à leurs usines, ne leur survit malheureusement pas. Suite au décès de ses deux frères, Ludger Simard vendit ses 60 % des actions de la compagnie Sorel Industries à la Société générale de financement du Québec (SGF) en 1965.


[1] SHPS, Fonds Sorel Industries, P001,S5,SS6,D1.

[2] SHPS, Fonds Sorel Industries, P001,S5,SS1,D176, P001,S5,SS2,SSS1,D13, P001,S5,SS2,SSS1,D16, P001,S5,SS2,SSS1,D44

[3] SHPS, Fonds Sorel Industries, P001,S9,SS2,SSS1, P001,S7,SS7, D1, Fonds Famille Joseph Simard, P176,S2,SS1,SSS4,D2, P176,S2,SS1,SSS4,D2.

[4] SHPS, Fonds Édouard Simard, P146,S5.

[5] SHPS, Collection Famille Simard, P250, Fonds Édouard Simard, P146,S3, Fonds Famille Joseph Simard, P176

[6] SHPS, Fonds Famille Joseph Simard, P176,S2,SS1,SSS4,D2.

[7] Ibid.

[8] SHPS, Fonds Sorel Industries, P001,S5,SS6,D1.

[9] Ibid.

[10] Ibid.

[11] Ibid.

[12] Ibid.

[13] Ibid.

[14] [s.a], «Portée mondiale de la leçon donnée par Sorel», La Presse [16 juin 1952], p. 1., [s.a], «M. Saint-Laurent affirme notre désir de paix au baptême de 2 navires à Sorel Industries», Le Nouvelliste [16 juin 1952], p. 1., [s.a], «Grandioses manifestations à Sorel en l’honneur de notre industrie de défense», Le Canada [16 juin 1952], p. 1. [s.a], «Avertissement aux pays agresseurs», Le Soleil [16 juin], p. 1.


Pour en lire un peu plus sur SIL et MIL, vous pouvez consulter les articles suivants: Mon été 1953 à Marine Industries et Une donation exceptionnelle. Si certains d’entre vous sont intéressés par les images des deux entreprises, nous en vendons quelques-unes sur notre boutique, dans la section Impressions !

Catégorie(s) : Histoire locale

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