Signature, NW. 1957

«Portrait d’une femme inconnue» de Natacha Wrangel

Introduction

Originaire de Kertch en Russie, Natacha Wrangel immigre au Canada en 1951. Elle vient de la Belgique, où sa famille s’est expatriée en 1923 alors qu’elle avait 3 ans. Elle étudie en Peinture murale et monumentale à l’Institut national supérieur d’Architecture et des Arts Décoratifs, où elle termine ses études en 1940[1]. Lorsqu’elle arrive à Montréal à ses 31 ans, sa carrière d’artiste est déjà bien entamée. Sa toute première exposition a eu lieu en 1940, suivi d’une exposition solo en 1944[2].

Après son arrivée à Montréal, cela ne lui prend que trois ans pour se lancer dans la vie artistique québécoise. À partir de cette période, elle ne cessera d’être exposée au Québec et à l’international, mais c’est au cours des années 1980 qu’elle gagne en popularité. Elle expose une dizaine de fois par année, tant en solo qu’en groupe. De plus, on loue son art dans plusieurs articles de la revue Vie des arts, une des revues d’arts les plus importantes au Québec.

Elle s’établit à Sorel en 1956 et commence à enseigner la peinture et le dessin dès 1957[3].

Procédé artistique

La représentation humaine a une place importante dans l’art de Wrangel. Cela s’exprime par de simples personnages aux allures enfantines, puis en ces « personnages-grappes »[4], accompli par ce que l’artiste appelle sa « loi du 5 »; cinq personnages en mouvement juxtaposés et superposés qui créent cet effet de grappe[5]. Ces personnages sont dessinés en miniature, parfois indépendants sur le papier, parfois dans un espace large qui les entoure.

Le dessin a toujours été une partie importante du travail de Wrangel. Depuis ses 17 ans, elle n’a jamais quitté ses premiers amours, et ce, malgré ses études en art magistral (mosaïque, fresque et vitraux)[6]. En effet, même si elle a touché à plusieurs médiums et matériaux (gravure sur bois et sur plâtre, dessin au fusain, à l’encre, à la plume, peinture sur toile, sur papier et encre[7]), le dessin reste une ligne conductrice dans son travail.

Un portrait de femme

Portrait.

L’œuvre que nous présentons ici est un portrait, qui aurait appartenu à Marguerite Eudes, puis donné à des ami.e.s, Émile Bernard et Bernadette Cullen. Il se pourrait qu’il s’agisse d’un portrait de Mme Eudes, mais rien ne nous permet de confirmer cette hypothèse. C’est le fils de Bernard, Pierre, qui nous en a fait le don au mois de juin dernier.

Cette œuvre sans nom est un des dessins à l’encre du début de la carrière québécoise de Wrangel. Créé en 1957, il représente une femme, souriante, avec les mains croisées sur les genoux.

Alors que le visage occupe une grande partie du papier, ce sont les mains qui attirent notre regard, par leur position au milieu de l’œuvre, mais aussi dans leur traitement, particulièrement en ce qui a trait aux jointures. Ces mains sont dessinées d’un trait rond, ondoyant, rappelant les volutes de la nature, un thème tout aussi important pour l’artiste que celui de l’humanité. Cette nature, Wrangel a pu l’observer, l’étudier et la dessiner dans son atelier aménagé dans la grange d’Arthur Mandeville[8].

Les jointures.

On devine que le personnage est assis sur une chaise de bois. À l’arrière-plan, un tabouret sur lequel est déposé un vase; on comprend qu’il s’agit d’une demeure, peut-être un endroit intime au sujet.

On remarque un mouvement, une rapidité dans les traits qui forment le corps et les traits du personnage, ce qui rehausse l’aspect esquissé de l’œuvre. Pour Wrangel, c’est la trace qui compte, celle de son passage[9]; l’esquisse est à considérer au même titre que l’œuvre achevée, car elle est la preuve de l’existence. Cette trace est accentuée et devient évidente lorsqu’on remarque l’imprimé de mains, dans lequel on peut presque percevoir les empreintes digitales. Les empreintes et l’intimité de l’espace du personnage sont tributaires de la volonté de l’artiste de marquer le papier, mais aussi la vie. Vers la fin de sa vie, ce désir aura atteint son apex pour Wrangle, qui aurait mélangé sa salive aux encres[10] et découpant même le papier avec ses dents[11].

Les empruntes.

La soralité de Wrangel

Natacha Wrangel, son mari et leurs enfants, Igor, Marianne et feu Dimitri, s’établissent à Sorel en 1956, probablement pour accommoder son conjoint, ingénieur[12].

Dès 1957, l’artiste donne des cours d’art, de peinture et de dessin aux adultes et aux enfants, à la Maison des Gouverneurs[13] puis au Centre Culturel de Tracy[14].

Dès son arrivée à Sorel, Natacha Wrangel expose, au moins une fois par année, soit à la Maison des Gouverneurs, au Colisée Cardin, à la Marina Tracy, soit au Centre culturel de Tracy ou à Sorel-O-Vision[15].

Durant plusieurs années, la grange d’Arthur Mandeville lui sert d’atelier, où elle y expose même, en 1969, des œuvres récentes[16].

Dans cette grange, elle accumule de nombreux tableaux, dessins et croquis, dont la plupart seront emportés dans un incendie en décembre 1982[17]. La catastrophe s’abat sur elle, puisque quelques années auparavant, son fils meurt à l’âge de 30 ans[18].

Wrangel ne se laisse pas pour autant décourager. Elle continue d’exposer, exprimant ses souffrances dans son art, produisant de nouvelles pièces qu’elle appelle des « carcasses grises »[19].

Elle est reconnue à Sorel, non seulement comme une artiste prolifique, mais comme une personnalité remarquable et talentueuse, au point où elle nommée personnalité du mois en 1987 par le journal La Voix[20]. La même année, on invite la population à témoigner en sa faveur afin qu’elle remporte le concours du Salon de la femme à Montréal, dans la catégorie de « femme de l’année dans le domaine des arts »[21].

Si les racines de Natacha Wrangel s’étendent de la Russie à la Belgique, leur profondeur dans la région soreloise est sans équivoque. Ses racines sont les bienvenues ici, car nous avons une grande « reconnaissance de sa personne et de son œuvre, mais aussi [une] fierté de vivres à ses côtés![22] »  


[1] Société historique Pierre-de-Saurel, Collection Les 2 Rives, P102, S2, SS3, D178.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Bernard Paquet, « La peinture vue comme une fête », Vie des arts, vol.37, no148, 1992, p. 61.

[5] Société historique Pierre-de-Saurel, Fonds Aline-Viau-Bélanger, P037, S3, SS4, « Natacha Wrangel (réal. Brigitte Joly) », 0m38sec et 1min58sec.

[6] Ibid, 15min33.

[7] Paul Gladu, « L’œuvre de Natacha Wrangel nous fait penser que : Nous sommes paysagistes par fausse pudeur! », Le Petit Journal [Montréal], 4 avril 1954, p. 59.

[8] Société historique Pierre-de-Saurel, Op.Cit., 17min04.

[9] Ibid., 11min35.

[10] Ibid., 6min40 à 6min45

[11] Ibid., 26min10

[12] Paul Gladu, « Une expo qui vaut le voyage à Sorel. Natacha ou le démon de la peinture », Le Petit-Journal [Montréal], 9 juin 1957, p. 65.

[13] Laurier Saint-Germain, « 2 expositions », Le Sorelois [Sorel], 13 octobre 1960, p. 3. et Natacha Wrangel, « A la maman de Nicole… », Le Sorelois [SOREL], 10 novembre 1960, p. 10.

[14] Francine Doucet, « Éternelle chercheuse dans « la maitrise de son art » », La Voix [Sorel],6 avril 1987, p. 26.

[15] Société historique Pierre-de-Saurel, Op.cit.

[16] Ibid.

[17] Suzanne Blais-Lamothe, « « Je peux me considérer sauvée » », Les 2 Rives [Sorel-Tracy], 26 avril 1983, p. 29.

[18] Ibid.

[19] Ibid.

[20] S.n., « La personnalité du mois », La Voix [Sorel], 23 mars 1987, p.5

[21] Louise Grégoire-Racicot, « Dans le cadre du concours du Salon de la femme à Montréal. Natacha Wrangel candidate au titre de « Femme de l’année dans le domaine des arts », Les 2 Rives [Sorel-Tracy], 24 mars 1987, p.15.

[22] Ibid.


Catégorie(s) : Archives, Histoire locale

2 réactions sur “«Portrait d’une femme inconnue» de Natacha Wrangel

  1. Jai eu l immense plaisir de connaitre la famille Wrangel..De les côtoyés a tous les jours .habitant chez eux.Des gens aimables,respectueux , poliglote mais parlait français quand je m approchais. Au plaisir de revoir Marianne et Igor. Merci

  2. Mme Wrangel a fait un portrait de moi dans son atelier dans sa maison qui était au 1re étage. Elle m’a présentée mon portrait lorsqu’il a été terminé! Je portais un béret noir et un chandail ligné noir et orange de mémoire, j’avais à cette époque environ 6 ans. Par la suite, j’ai servi de modèle pour ses étudiants dans le sous-sol du château des gouverneurs. Elle a exposé mon portrait lors d’une exposition au musée des beaux-arts en 1963. Le MBA m’ont informé que le nom du tableau s’appelait La petite fille! Il aurait été vendu et serait parti en France! Ce que je donnerai pour revoir ce tableau qui parle de mon enfance!

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