Les paysages ont toujours eu une place importante dans l’histoire de la peinture canadienne[1]. Les grands espaces tant forestiers qu’agricoles, les saisons aux personnalités marquées passionnent les artistes dès le début de la colonie[2]. Au début du XXe siècle, des artistes comme Suzor-Côté et Marc-Aurèle Fortin exploitent ces paysages, tout en les modernisant par leur traitement de l’image[3]. Quelques années plus tard, à Toronto et Montréal, le Groupe des Sept et celui du Beaver Hall font de même[4]. L’épaisseur du médium, les couleurs franches, l’utilisation de la spatule et les compositions presque géométriques font de ces artistes non seulement des représentants de la modernité, mais aussi les porte-parole d’un désir de renouveau pictural qui marque la période de la peinture moderne entre 1919 et 1939[5].
Lorsque j’ai vu l’œuvre de Michel Plante, j’ai tout de suite pensé à ses prédécesseurs, y voyant des similarités dans le traitement de la lumière et de l’empâtement par l’utilisation de la spatule, qui jette l’emphase sur les lignes droites et ajoute de la géométrie à l’environnement naturel. Si l’on ne peut pas associer Les vieilles maisons du bas de la ville au modernisme du début du siècle à cause de la date de création de la peinture (1983), on peut toutefois dire que Plante, avec cette œuvre, s’inscrit dans ce que l’on pourrait appeler du post-régionalisme[6].
Peinture et forme
Alors que le traitement pictural des maisons, dans les teintes de bleus et blanc, est plutôt lisse, le traitement de l’environnement naturel (pelouse et arbres) est épais et presque qu’abstrait. C’est le cas pour les couleurs utilisées pour la route, de prédominance verte et brune, dont les touches de blanc, de jaune, d’orange et de rouge rehaussent son aspect moderne. L’utilisation de la spatule pour illustrer les branches des arbres, ajoute une géométrie à l’œuvre. Les maisons sont assises sur un ciel bleu au nuage gris, au geste franc, eux aussi étendu à la spatule. La composition générale est encadrée par deux formes blanches. En premier plan, c’est le côté de la première maison qui est mis à l’honneur. En arrière-plan, une maison avoisinante et carrée ajoute au centre de la pièce. Cet « encadrement », additionné au point de fuite placé à la droite de la toile, mène le regard à faire des va-et-vient de l’arrière à l’avant de la composition. Ce va-et-vient crée un dynamisme qui ajoute à l’œuvre, tout en gardant le regard impliqué dans sa composition centrale.
Les maisons Saint-Louis
L’œuvre représente les maisons Saint-Louis de la rue Reine à Sorel, qui furent détruites quelques années après la création de cette peinture afin de libérer l’espace et construire des habitations à loyer modique. La maison du 46-48 de la rue Reine avait un style traditionnel du début du XIXe siècle, empruntant des éléments stylistiques du régime français – remplaçons la pierre des champs par de la brique – et des éléments de style Regency[7], notamment par la forme de son toit. Celle du 42-44 a été construite sous l’influence de l’architecture néo-anglaise.
Les pourparlers de leur démolition firent grand bruit à l’époque, puisque certains intervenants régionaux leur attribuaient une valeur historique: les maisons avaient été construites entre 1847 et 1852[8] et avait été nommées ainsi d’après Louis Saint-Louis, un capitaine de navire[9]. La Société historique Pierre-de-Saurel, en appui avec le Comité pour la survie du patrimoine régional[10], recommandait au conseil municipal de conserver ces bâtiments. Malheureusement, le ministère des Affaires culturelles, par l’entremise de l’analyse de l’historienne de l’art Sylvie Blais[11], n’a pas pu leur accorder une valeur patrimoniale particulière en considérant l’histoire architecturale du reste du Québec[12]. La démolition eut lieu en 1986.
Conclusion
Si Michel Plante fut connu de plusieurs résidents de la région, il semble que son œuvre ait été oubliée par l’histoire de l’art québécoise et canadienne. La représentation de ses œuvres en publication est peu présente, ce qui est dommage considérant la qualité picturale de la peinture qui s’est rendue jusqu’à nous. Plante fut, entre autres, actif dans les années 1980 et il participa à plusieurs reprises à Expo-Plus dans le cadre du Dezemberfest[13]. Son amour pour l’héritage bâti transparaît dans son œuvre.
[1] Édith-Anne Pageot, « Paysages, dépaysements. La construction de mythes identitaires dans l’art canadien moderne et contemporain », International Journal of Canadian Studies / Revue internationale d’études canadiennes, (36), 2007, p.288-290.
[2] Raymond Vézina, « Attitude esthétique de Cornelius Krieghoff au sein de la tradition picturale canadienne-française », RACAR : Revue d’art canadienne / Canadian Art Review, 1(1), 1974, p.51-53.
[3] Jean-René Ostiguy, « Compte rendu de Le modernisme au Québec en 1910 et en 1930 / Esthétiques modernes au Québec, 1916-1946, 1982: Galerie Nationale du Canada, Ottawa, du 16 avril au 13 juin 1982; Musée de Windsor, du 1er juillet au 15 août 1982; Musée du Québec, Québec, du 12 janvier au 27 février 1983 », Vie des arts, 27(107), p.43.
[4] Christopher Varley, Russel Bingham, « Groupe des Sept », L’encyclopédie Canadienne, En ligne : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/groupe-des-sept (Consultée le 26 avril 2022)
[5]Louis Jacob, « Esther Trépanier, Peinture et modernité au Québec, 1919-1939, Québec, Nota bene, 1998 (2002), 395 p. (Essais critiques.) », Recherches sociographiques, 43(2), p. 414-415.
[6] Le régionalisme, en peinture canadienne, est un terme emprunté au courant du régionalisme américain. Le régionalisme est un sous-courant du modernisme, qui prend pour sujet des paysages, activités ou traditions spécifiques à une région rurale. L’œuvre de Plante reprend les codes associés au régionalisme, mais que sa création est datée de 40 ans après le courant moderniste, c’est pourquoi le terme « post-régionalisme » me semble juste.
[7] Barbara Humphreys, Meredith Sykes, « L’architecture du Canada. Guide des styles antérieurs au XXe siècle. », Environnement Canada, Service des parcs, 1980, p. 4-5.
[8] Société historique Pierre-de-Saurel, Fonds Louise Pelletier, P162, S2, SS4, SSS1, SSSS1, D8.
[9] Yves Robidoux, « Les deux maisons de la rue Reine disparaîtront au profit d’un HLM », Les 2 Rives, 16 mai 1986, p.8, 15
[10] Société historique Pierre-de-Saurel, Fonds Jean Bergeron, P020, S2, SS3, SSS1, D3.
[11] Société historique Pierre-de-Saurel, P162… op. cit.
[12] Robidoux, « Les deux maisons… », op. cit.
[13] Société historique Pierre-de-Saurel, Fonds Linda Dufault, P022, S2, SS2, SSS2, D1, P022, S2, SS2, SSS2, D6, P022, S6, SS1, D10.
Catégorie(s) : Art, Histoire locale