Le dossier illustre une enfant recevant un vaccin à la clinique Laurier

Mort de la rage

Dans la région, la deuxième moitié des années 1800 est plutôt mouvementée en termes de santé et d’épidémie. Entre les années 1860 et 1900, les problèmes d’hygiène publique et d’épidémie de virus sont importants. La population est atteinte de choléra, de « vérole » (petite variole), de rougeole et les soins, les médicaments, autant que les façons de faire, ne sont pas toujours efficaces. En outre, la stagnation des eaux et l’absence d’égouts créent un environnement propice à la multiplication des bactéries virales.

Une série de maladies

En consultant rapidement les journaux de l’époque, on constate que les décès causés par les maladies virales sont constants.

À l’été 1854, 1186 décès sont enregistrés dans un laps de temps de 10 semaines à cause du choléra[1]. En 1865, une inondation dans les îles de Sorel mobilise une bonne partie du personnel soignant local, surtout composé de religieuses et d’infirmières[2]. Il faut dire qu’alors, on ne comptait que trois médecins à Sorel[3].

En outre, une succession de contagions et d’épidémies surviennent à partir de 1873, où, la première d’entre-elles, est causée par un animal mort bloquant la prise d’eau de la nouvelle station de pompage au centre-ville. Plusieurs personnes sont atteintes de fièvre typhoïde[4].

L’année suivante, une épidémie de petite vérole fait 67 décès, composés majoritairement d’enfants entre 4 et 9 ans[5]. En 1877, c’est une épidémie de diphtérie[6] qui s’attaque à la population de l’Île de Grâces et du Chenal du Moine. À Sorel, le choléra et de la rougeole sont toujours bien présents[7]. En 1885, à Sainte-Anne-de-Sorel, les enfants souffrent encore de diphtérie[8].

Ces maladies virales demandent des soins qui sont parfois déficients. Plusieurs ne s’en remettent pas, même lorsque les patients sont accompagnés par les médecins locaux.  Heureusement, l’hôpital du Sacré-Cœur, ouvert depuis 1862[9], accueille plusieurs patients pour alléger la tâche des médecins, qui continuent leurs visites à domicile.

Morsure et infection

Un des virus présents à cette période et auquel on peine encore à trouver un remède est la rage. Surtout connu pour l’effet que ce virus a sur les animaux, il est dangereux pour l’humain puisqu’il est transmissible par les liquides corporels[10].

La rage est une encéphalite virale, qui est une inflammation non suppurative de l’encéphale. Cette région du cerveau est responsable d’une partie du système nerveux, qui contrôle la majorité de l’organisme. La rage affecte également la moelle épinière[11]. Sa contraction est pour ainsi dire mortelle, car elle s’attaque directement au cerveau de façon irréversible.

Si Louis Pasteur crée le premier vaccin contre la rage en 1885, il faut savoir que celui-ci n’a aucune efficacité après que la maladie se soit déclarée dans l’organisme. Cependant, la contraction n’est pas immédiate après la morsure. Par exemple, lorsque le vaccin est testé pour la première fois sur un humain, un jeune garçon ayant été mordu quatorze fois par un chien, il ne développe pas la maladie[12]. En contrepartie, les injections devaient se faire tous les jours pour être efficaces.

Le cas de Sorel

À partir de 1885, les journaux québécois, dont Le Sorelois et la Gazette de Sorel, rapportent des cas de rage sur les humains guéris, grâce aux soins des professionnels de la santé, le vaccin antirabique, ainsi que du personnel de l’Institut Pasteur[13].

Article dans le Sorelois du 7 juillet 1882, p. 2.
Article dans Le Sorelois du 7 juillet 1882, p. 2. L’intérêt du public pour les avancées médicales ne date pas d’hier.

Le journal n’est pas sans jouer sur les émotions de ses lecteurs sur ce sujet. Par exemple, dans Le Sorelois du 16 février 1886[14], on rapporte que le lectorat d’un journal américain n’a déclaré aucun cas d’hydrophobie[15], un symptôme de la rage, parce qu’il a payé d’avance son abonnement à la publication. On présume que c’est une tactique par Le Sorelois pour solliciter plus de lecteurs à acheter des journaux.

Deux ans avant la création du vaccin, un jeune sorelois de 12 ans contracte la maladie. Cette histoire, rapportée par La Gazette de Sorel du 25 mai 1883[16], débute lorsque les parents du garçon, nommé Joseph[17], sauvent un chat de la rue. Le chaton est craintif, il se cache sous les meubles, mais il n’est pas agressif. Il pousse, cependant, des miaulements rauques lorsqu’on veut l’approcher et le caresser.

Après un mois, Joseph marche sur la queue du chat par inadvertance et le petit animal l’attaque. La Gazette de Sorel rapporte que le chat est tellement enragé qu’il faut l’abattre pour que sa mâchoire lâche prise de la main du garçon. Les parents lavent la plaie avec de l’eau-de-vie, mais les symptômes de rage néanmoins apparaissent : maux de tête, puis un affaiblissement de la vue, suivis d’une fièvre.

À ce stade, Joseph est alité et ses heures sont comptées. Il est neuf heures du matin quand la plaie se ravive et enfle jusqu’à l’épaule. La mère de Joseph veut lui faire prendre un bain, mais la vue de l’eau le plonge dans un état d’horreur considérable. On lui fait donc un sinapisme[18], mais pris de rage, il sort de son lit en hurlant. Un médecin est enfin appelé et, sans grand étonnement, pose le diagnostic d’hydrophobie, un symptôme terminal de la rage. Vers 14 heures, Joseph est pris d’hallucinations. Il est convaincu que le chat est toujours en train de le mordre et supplie ses parents de le décrocher de sa main. Une demi-heure plus tard, il succombe de la maladie[19].

Deux ans plus tard, le 8 mai 1885, le Sorelois rapporte que « sœur S » sauve cinq jeunes enfants, le plus vieux âgé de 8 ans, en s’interposant entre eux et un chien enragé. L’animal la mord une quinzaine de fois et ne lui laisse aucune chance de survie. Elle est soignée rapidement, mais ne se fait pas d’illusion : l’hydrophobie est rapidement diagnostiquée et elle meurt peu de temps après[20].

Conclusion

Après 1885, peu, voire aucun cas de rage n’est rapporté par les journaux de la région. La plupart se déclarent aux États-Unis ou en France, mais l’Institut Pasteur, en pleine activité, réussit à en sauver la majorité. En effet, entre 1888 et 1889, 1 830 personnes sont traitées pour la rage et seulement 11 en sont décédés[21].

Aujourd’hui, le plus récent cas de décès par la rage chez l’humain au Québec date de l’an 2000. Il s’agissait d’un enfant mordu par une chauve-souris. Lui, tout comme ses parents, ne se sont pas aperçus de la morsure avant qu’il ne soit trop tard et l’enfant est mort à l’hôpital Sainte-Justine[22].

Dr Serge Moisan, du centre de santé publique de Saint-Hyacinthe, 4 mai 1993. On avait déclaré 19 cas de rage dans la région du Bas-Richelieu entre janvier 1992 et mai 1993. On avait sensibilisé le public à la vaccination des animaux de compagnie pour réduire les chances de propagation. SHPS, Fonds Les 2 Rives, P102, S1, SS1, SSS6, D99.

Depuis 1924, année à laquelle la déclaration de la rage devient obligatoire au Canada, seulement 25 cas mortels ont été recensés dans le pays, dont la majorité (12) est au Québec. Les plus récents cas de décès de la rage ont tous été causés par des morsures de chauve-souris infectées (2000 au Québec, 2003 en Colombie-Britannique, 2007 en Alberta et 2012 en Ontario).

Aujourd’hui, le vaccin sert surtout de traitement préventif. Lors d’une morsure, il est administré le plus rapidement possible, car dès l’apparition des premiers symptômes, le vaccin n’est plus efficace et la mort est toujours inévitable.

Pour un aperçu (chronologie) des épidémies au Québec, voir l’Institut national de santé publique du Québec, « Ligne du temps », [En ligne], URL: https://www.inspq.qc.ca/sites/default/files/documents/lspq/ligne-du-temps-maladies-infectieuses.pdf (Consultée le 14 juillet 2023).


[1] Roland Plante, Une histoire de la médecine à Sorel, Société historique Pierre-de-Saurel, 2008, p. 30.

[2] Ibid., p. 33.

[3] Ibid., p. 32.

[4] Ibid., p. 33.

La fièvre typhoïde est une maladie infectieuse, causée par des bactéries de types salmonelles.

[5] Idem.

[6] Il s’agit d’une maladie infectieuse s’attaquant d’abord aux voies respiratoires, puis au cœur puis au système nerveux. Elle peut causer la mort par une suffocation.

[7] Roland Plante, Op.Cit., p. 34.

[8] Ibid., p. 36.

[9] Ibid., p. 32.

[10] John E. Greenlee, « Rage », Le Manuel Merck, [En ligne], https://www.merckmanuals.com/fr-ca/professional/troubles-neurologiques/infections-c%C3%A9r%C3%A9brales/rage (Consultée le 25 mai 2023).

[11] Idem.

[12] Institut Pasteur, « La rage vaincue », Institut Pasteur, [En ligne] https://www.pasteur.fr/fr/institut-pasteur/notre-histoire/troisieme-epoque-1877-1887 (Consultée le 25 mai 2023)

[13] Institut Pasteur, « Notre histoire », Institut Pasteur, [En ligne] https://www.pasteur.fr/fr/institut-pasteur/notre-histoire (Consultée le 25 mai 2023)

[14] [s.a], « Actualités », Le Sorelois [Sorel-Tracy], 16 février 1886, p. 2.

[15] Idem.

[16] [s.a], « Un enfant enragé », La Gazette de Sorel, [Sorel-Tracy] 25 mai 1883, p. 3.

[17] Le nom de famille est resté anonyme à part pour l’initial B.

[18] Le sinapisme est un traitement qui cesse d’être utilisé au courant du 20e siècle et qui est aujourd’hui considéré comme un remède traditionnel. Ce traitement consiste à créer un cataplasme, une préparation pâteuse à base de plantes qui est, dans le cas du sinapisme, à base de farine de moutarde, ce qui produit une chaleur et fonctionne comme révulsif en stimulant les terminaisons nerveuses superficielles. Cela a pour but de diminuer l’enflure au bras.

[19] « Un enfant enragé », Op.Cit., p. 3.

[20] [s.a], « Sublime dévouement », Le Sorelois [Sorel-Tracy], 8 mai 1885, p. 3.

[21] [s.a], « La rage », Le courrier de Saint-Hyacinthe [Saint-Hyacinthe], 11 février 1890, p. 1.

[22] [s.a], « Un jeune garçon mordu par une chauve-souris enragée », TVA Nouvelles, [En ligne], https://www.tvanouvelles.ca/2000/10/03/un-jeune-garcon-mordu-par-une-chauve-souris-enragee (Consultée le 21 mai 2023).

Photographie générale de l’article: Bibliothèque et Archives nationales du Québec, « Vaccins », Fonds La Presse, P833,S3,D1049. [En ligne], URL: https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4178272?docsearchtext=vaccin (Consultée le 14 juillet 2023).

Catégorie(s) : Histoire locale

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