Nouveaux versements au fonds Laurier R. Ménard

Dernièrement, plusieurs articles ont été publiés sur l’avenir de la piscine intérieure Laurier R. Ménard et sur le projet de la construction d’un nouveau complexe sportif présenté par le conseil municipal de Sorel-Tracy. Si les questions logistiques autour d’un centre sportif ne font pas partie de notre expertise, nous nous sommes cependant intéressés à cette situation dans l’optique d’en étudier l’impact sur l’histoire régionale et de remettre en contexte l’existence de la piscine actuelle et l’origine du nom qu’on lui a donné. Pour ce faire, nous utiliserons les archives disponibles dans le fonds P251 (Laurier R. Ménard), dont nous avons justement reçu un versement au mois de juillet dernier !

En effet, les documents contenus dans ce fonds témoignent des événements qui ont marqué la carrière en politique municipale mouvementée de M. Ménard, qui fut maire de Tracy de 1958-1959 et de 1961-1968. D’autant plus qu’il s’agit d’un moment charnière pour cette nouvelle ville. En effet, c’est le 10 février 1954, la municipalité de la paroisse de Saint-Joseph-de-Sorel est constituée en la corporation de la Ville de Tracy

De pharmacien à politicien

Fils de Rosanna Larochelle et de Michel Ménard, Laurier Réal Ménard est né le 23 avril 1920, à Shawinigan. Il y fit ses études au collège St-Marc. Par la suite, il fréquenta la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal où il est licencié 1944. Il travailla pendant plusieurs années comme pharmacien-chimiste dans plusieurs laboratoires pharmaceutiques de Montréal. C’est en 1953 qu’il devient pharmacien-propriétaire en établissant une pharmacie dans la municipalité de paroisse de St-Joseph-de-Sorel, sur la route Marie-Victorin.[1]

Dès son arrivée dans sa nouvelle communauté, il s’implique en devenant membre de plusieurs organismes communautaires où il exerce un rôle important : directeur de la Chambre de commerce du Sorel métropolitain, vice-président de la protection civile du comté de Richelieu-Verchères, membre du conseil d’administration de l’Hôpital Hôtel-Dieu, etc.[2] Cette implication auprès de divers organismes communautaires l’amènera tout naturellement à prendre la décision de se lancer en politique lors des élections municipales de 1958 lors de laquelle il est élu maire par acclamation.

Ce succès est cependant de courte durée, puisque des problèmes internes hérités de la gestion du précédent conseil municipal le poussent à remettre sa démission l’année suivante :

Malheureusement, ces quelques activités, qui auraient pu se multiplier bien davantage, et pour le plus grand bien de Tracy, ne l’ont pas été, parce qu’un groupement adverse et quelques individus que je n’oserai qualifier ici, se sont plus à me faire une obstruction systématique, souvent d’une manière hypocrite, en attaquant ma réputation personnelle et professionnelle. Je n’ai pas à citer d’exemples ici, tout le monde est au courant des faits. Même au sein du Conseil, j’ai demandé à maintes reprises la collaboration de tous ; quelques-uns furent sincères avec moi, mais pas tous, loin de là ; mal conseillés par des individus auxquels le pouvoir montait à la tête ou encore dépassés par les événements, ils oublièrent leur serment d’office avec le résultat que l‘on sait.

C’est à cause de toutes ces circonstances que je me vois aujourd’hui dans la triste obligation de démissionner. Ce n’est pas sans émotion que je quitte ma charge, car j’avais mis tout mon cœur dans la tâche que mes concitoyens m’avaient confiée. Je les remercie encore une fois de cette preuve de confiance, ainsi que tous mes amis sur lesquels je me suis toujours appuyé dans les heures difficiles, merci aussi aux quelques échevins anciens et actuels qui furent des conseillers précieux et des collaborateurs sincères durant mon passage au Conseil.[3]

Sa démission créa une onde de choc dans l’administration municipale comme en fait foi un article publié dans un journal local traitant de l’impact de la décision de Laurier R. Ménard :

Bien que M. Laurier-R. Ménard, qui détenait ces fonctions depuis un an, eut remis sa démission à ses collègues le 12 janvier dernier, ce n’est que le 9 février que ceux-ci se sont résolus à l’accepter. Ce délai serait attribuable au fait qu’on aurait voulu trouver un terrain d’entente pour que le démissionnaire revienne sur sa décision, ce qui n’a apparemment pu se réaliser.[4]

Même si l’agitation causée par son départ et les mésententes évidentes entre sa personne et le conseil municipal se termine par une triste note, l’implication en  politique de Laurier R. Ménard ne s’arrête pas là. Dès 1961, il est réélu comme maire et mets en place un vaste projet de développement urbain ayant comme pôle central un Centre civique pour stimuler la croissance de sa jeune municipalité, incorporée quelques années auparavant. Se voulant une réponse aux besoins criants d’infrastructures pour les divers aspects de la vie de ces citoyens, la municipalité se mobilise dès 1966 pour créer un complexe comprenant plusieurs zones.

Elle développera d’abord une zone administrative avec la construction d’un nouvel Hôtel de Ville en 1966, puis une zone éducative comprenant plusieurs institutions scolaires de différents niveaux académiques : l’école Harold Sheppard en 1965, l’Institut de technologie en 1965, le Centre Bernard-Gariépy et l’École d’apprentissage des métiers en 1966, la polyvalente Bernard-Gariépy en 1971 et le Cégep de Sorel-Tracy en 1968. En outre, elle développa aussi une zone récréative et culturelle avec la construction de la piscine entre 1966 et 1967, le centre culturel en 1967 et l’aréna Aurèle-Racine en 1979. Finalement, elle termina son projet avec une zone commerciale sous la forme de l’ancienne Plaza Tracy construite en 1972.

La vision politique que voulait insuffler Laurier R. Ménard à la ville de Tracy comprenait également une volonté d’augmenter son rayonnement, non seulement à la grandeur de la province du Québec, mais aussi à la grandeur du Canada. Pour ce faire, il s’efforcera de développer des liens et des partenariats avec différentes municipalités, dont les mérites se sont étendus beaucoup plus loin que Tracy. Par exemple, M. Jean Drapeau, maire de la Ville de Montréal entre 1954-1957 et 1960-1986 souligne le travail extraordinaire de Laurier R. Ménard[5] :

Comme on peut le lire, ces encouragements soulignent les efforts de M. Ménard pour le développement « de sa ville ». Nous retrouvons également quelques photos prises en 1964 de plusieurs dignitaires pour souligner les liens entre les villes de Sorel, de Tracy et de St-Joseph-de-Sorel et celle de Welland en Ontario.[6]

De gauche à droite
Ernest Aussant, maire de St-Joseph-de-Sorel; Mgr Jean-Charles Leclaire, curé de la paroisse St-Pierre-de-Sorel; Henri Olivier, président Sorel Industries et Beloit Industries; Micheal Perenack, maire de Welland; Laurier R. Ménard, maire de Tracy et Jean-Jacques Péloquin, maire de Sorel.

Malheureusement ce vent de modernisme et de croissance pour la municipalité semble encore avoir été freiné par de la discorde interne et provoqua en partie une deuxième démission de la part de Laurier R. Ménard, le 23 février 1968 :

Le maire de Tracy Laurier R. Ménard a donné sa démission à l’occasion de l’assemblée régulière du conseil municipal. Il a fourni deux raisons principales qui avaient motivé son départ de l’hôtel de ville ; le fait d’être minoritaire au conseil et le décès de son épouse.

[M. Ménard a rappelé qu’il posait ce geste pour la deuxième fois de sa vie, soulignant ainsi qu’il avait démissionné, à peu près pour les mêmes raisons en 1958, après avoir été maire durant un an. Il était revenu à la mairie en janvier 1961 et fut réélu en 1964 et en 1967.]

Pour moi, une époque se termine et c’est avec le sentiment d’avoir accompli mon devoir selon mes capacités que je donne ma démission effective d’aujourd’hui, que je demande au conseil d’accepter cette démission immédiatement; au greffier de décréter une élection dans le plus bref délai et que je prie le maire suppléant de bien vouloir remplir les devoirs de mon ancienne tâche de maire de Tracy.[7]

L’Héritage de Laurier R. Ménard

Ce départ met fin à la vie politique de Laurier R. Ménard. Par la suite, il retourna à ses premiers amours et se concentra sur sa profession de pharmacien et son rôle de père de famille. Il décèda à sa résidence de Saint-Boniface près de Shawinigan, le 10 décembre 1996. Un peu plus d’un an plus tard, en mai 1998, le conseil municipal de Tracy accepta la proposition de ses enfants, et décida par résolution de donner à la piscine municipale de Tracy le nom de celui qui en fut le maire pendant environ une décennie.

Pour honorer Monsieur Laurier R. Ménard

No 98-05-77

CONSIDÉRANT QUE Monsieur Laurier R. Ménard a été maire de la Ville de Tracy en 1958 et 1959 et de 1961 à 1968;

CONSIDÉRANT QUE Monsieur Ménard est décédé l’an passé;

CONSIDÉRANT QUE Monsieur Ménard a été l’instigateur de la construction de la mairie, de la piscine municipale et du centre culturel à l’intérieur du centre civique;

CONSIDÉRANT Qu’il est de mise d’honorer ce grand bâtisseur;

Il est proposé par le Conseiller Paul-Émile Théroux, appuyé par le Conseiller Jacques Tremblay:

QUE pour honorer le grand bâtisseur que fut Monsieur Laurier R. Ménard, la piscine municipale soit nommée Piscine Laurier R. Ménard.

ADOPTÉ À L’UNANIMITÉ.[8]

Tourné vers l’avenir

La piscine célébra en 2017 son cinquantième anniversaire. Cet anniversaire coïncide avec la réflexion des autorités municipales sur l’avenir de ce bâtiment. Pour l’instant, le conseil municipal de Sorel-Tracy projette la rénovation de sa piscine intérieure et surtout, sa transformation[9]. Si on lui cherche une nouvelle vocation, ce bâtiment représentera toujours les politiques modernes de Laurier R. Ménard par le simple fait de son existence. À l’image de cet homme politique d’autrefois, le développement du secteur Tracy n’était donc pas à surprendre et quelque part, la construction d’un nouveau complexe sportif, sans être facile, est loin de manquer d’ambition, ce dont ce visionnaire et instigateur du premier complexe ne manquait pas.

Nous tenons à remercier, M. Gilles et Mme Suzanne Ménard, ses enfants, qui ont effectué le plus récent versement.


[1]  P251, Fonds Laurier R. Ménard, [En traitement].

[2] Jean-Claude Larivière, L’Éclaireur : volume mettant en lumière les figures dominantes de notre région tout en soulignant les contributions éminemment importantes que nos industries ont apportées à l’économie de nos comtés, 1970-1971, dans Michel Champagne, dir., Sorel, L’Éclaireur & Ass. Enr., Tome 1, 1971, p. 33.

[3] P251, Fonds Laurier R. Ménard

[4] [s.a], « La ville de Tracy présentement sans maire », Le Sorelois [Sorel], 12 février 1959, p.3.

[5] P251, Fonds Laurier R. Ménard

[6] Ibid.

[7] L.B, « Démission du maire de Tracy, M. Laurier Ménard », Le Nouvelliste [Trois-Rivières], 23 février 1968, p. 8.

[8] Résolution 98-05-077 du conseil municipal de Tracy.

[9] Sébastien Lacroix, « Le bâtiment de la piscine Laurier-R.-Ménard aura une nouvelle vocation », Les 2Rives [En ligne] https://www.les2rives.com/le-batiment-de-la-piscine-laurier-r-menard-aura-une-nouvelle-vocation/ (consultée le 13 novembre 2020).


Catégorie(s) : Histoire du Québec, Histoire locale

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