En octobre 2019, le gouvernement du Québec déposait le projet de loi 40. Ce dernier visait l’abolition des commissions scolaires, remplacées, depuis juin, par des centres de services scolaires[1]. Mais à quand remonte exactement la création des commissions scolaires et comment ont-elles évolué au fil du temps? Des Institutions royales aux commissaires scolaires, en passant par les écoles de Fabrique, le réseau de l’éducation n’est pas à sa première réforme.
La création des commissions scolaires remonte en 1841[2], à la suite de l’Union entre le Haut et le Bas-Canada. C’est un rapport sur la situation de l’éducation, publié en 1838 par Arthur Buller, « un jeune réformiste[3] », qui influença les structures scolaires mises en place au cours de cette période. Ce dernier recommanda un système d’éducation public, sous la responsabilité des institutions municipales, qui reposait sur deux sources de financement, un provenant du gouvernement et l’autre provenant des taxes scolaires foncières. Ce principe de taxation attira d’ailleurs une vague de mécontentement dans le Bas-Canada qui conduisit à « la guerre des Éteignoirs[4] », pour désigner ceux qui « étouffaient le savoir[5] ».
Laïques à l’origine, les commissions scolaires se sont confessionnalisées au cours du 19e siècle jusqu’à former deux réseaux distincts, soit un catholique et l’autre protestant[6]. À Sorel, les premières écoles dont nous avons connaissance remontent à la fin du 18e siècle. « L’arrivée des loyalistes et la présence de la garnison ont […] permis à la ville de compter auparavant sur la présence de quelques instituteurs, particulièrement William Nelson[7] ». Ce dernier ouvrit une école à Sorel en 1794 après y être aménagé la même année.
En 1801, le gouvernement colonial inaugura une nouvelle politique scolaire, soit les écoles de l’Institution royale[8], dont William Nelson en fut d’ailleurs le premier instituteur à Sorel, de 1820 à 1823[9]. Ces institutions tardèrent toutefois à s’implanter en milieu francophone et catholique, tandis que le taux de fréquentation des anglophones diminua graduellement. Le manque d’engouement pour ces établissements s’explique en partie par l’influence de l’église catholique chez les francophones, qui regardait d’un mauvais œil l’implication de l’État dans l’éducation. En effet, ces derniers se retrouvent sans pouvoir d’assise à l’intérieur de cette organisation, où l’on retrouve majoritairement des anglophones protestants.
En conséquence, il faudra attendre près de 20 ans, soit lors de l’adoption de la loi sur les écoles de fabriques en 1824, pour que le clergé catholique donne son aval quant à l’éducation de ses ouailles. Entre temps, l’école soreloise ferma ses portes en 1829, de concert avec l’implantation des écoles confessionnelles, pour lesquelles l’évêque autorisa l’emploi d’une part des revenus consacrée aux fabriques[10].
Deux écoles existaient à Sorel avant la création des commissions scolaires, soit une catholique et l’autre protestante[11]. Une école pour filles aurait également été aménagée, en 1833, dans une maison achetée par le curé de la fabrique Saint-Pierre, Jean-Baptiste Kelly. L’école ferma en 1850 avec l’ouverture du couvent qui deviendra, quelques années plus tard, le Couvent de la Congrégation de Notre-Dame. Ce dernier fut construit sur un lot entre les rues Georges, Phipps, Augusta et Ramesay, qui appartenu précédemment au pasteur de la Christ Church, John Jackson[12].
Les écoles confessionnelles
Le curé Kelly fut également à l’origine de l’instauration de l’Académie de Sorel. Il enclencha ses démarches en 1846, soit la même année à laquelle remonte l’établissement d’une commission scolaire à Sorel[13]. Ce dernier réussit à faire accepter son plan pour la construction d’écoles pour les garçons et les filles[14]. C’est d’ailleurs son presbytère, situé sur la rue Georges, qui servit en premier lieu d’académie pour garçons. Le curé vendit la bâtisse à la commission scolaire, en 1848, afin de faire bénéficier celle-ci des subventions gouvernementales[15]. Les Frères des Écoles chrétiennes furent les premiers responsables de l’éducation dispensée aux élèves à qui l’on enseignait le dessin linéaire, l’arpentage, la tenue des livres et la géométrie.[16] Dès 1850, la commission scolaire procéda à la construction d’un nouveau bâtiment de deux étages en briques[17].
Si le taux d’occupation des élèves alla en augmentant, la relation entre les commissaires scolaires et les Frères des Écoles chrétiennes se dégrada jusqu’à créer, à plus d’une reprise, l’arrêt provisoire des services éducatifs[18]. Ce sont les démarches entreprises par la commission scolaire et la communauté soreloise pour l’établissement d’un collège classique qui auraient été à l’origine de ces tensions et « indisposer[19] » les Frères des Écoles chrétiennes « qui se sent[ai]nt critiqués[20] ». Ces derniers furent pourtant de retour à Sorel, après une année d’absence, pour la construction du Collège Sacré-Cœur, situé au coin des rues Hôtel-Dieu et Prince, en 1869. Ce collège, qui prendra le nom plus tard de l’Académie du Sacré-Cœur, fut sous la direction des Frères des Écoles chrétiennes et des Frères de Sainte-Croix, de 1869 à 1909. Les Frères de la Charité occupèrent la bâtisse par la suite[21]. « Pendant ce temps, l’école protestante située sur la rue Élizabeth continue de recevoir des élèves, sans faire de vague.[22] »
Un collège classique à Sorel
La volonté à doter Sorel d’un collège classique se manifesta dans la ville dès 1858. Toutefois, l’établissement d’une telle « maison » nécessitait le consentement de l’évêque de Saint-Hyacinthe[23]. Dans une correspondance avec le maire John-George Crebassa, Mgr Louis-Zéphirin Moreau évoquait des réticences quant au projet « d’une maison d’Éducation d’un ordre élevé[24] » à Sorel. Il faut dire qu’il y avait déjà quelques écoles de rang à Sorel[25]. Mais, le nombre des élèves au Collège Sacré-Cœur alla en augmentant et la nécessité à trouver une construction plus grande s’imposa[26]. Le gouvernement émit ses préférences quant à la construction d’un nouvel établissement et promit une subvention alla jusqu’à vingt mille dollars[27]. La commission scolaire acheta donc une partie de la réserve militaire (où se trouve l’actuelle rue du Collège), en 1877, pour la somme de 1, 330 piastres. C’est l’architecte L.-Z. Gauthier qui traça le plan du nouveau collège, dont l’inauguration se déroula le 17 septembre 1877[28].
Ce collège fit la fierté des Sorelois, mais l’argent promis par le gouvernement ne vint jamais et les dettes s’accumulèrent. « Il [devint] évident que le collège ne [pouvait] se maintenir.[29] » Le collège fut vendu, en 1883, à Henry-J. Lyall, principal de l’école McTavish, qui en fit un lycée anglican, nommé Lincoln College. Quelques années plus tard, la bâtisse fut vendue aux Frères de la Charité, puis le collège classique ouvrit de nouveau ses portes en 1897, sous le nom de collège Mont-Saint-Bernard. Cette école privée offrit des cours commerciaux et classiques jusqu’en 1928, après quoi la bâtisse servit à la formation de jeunes religieux[30]. Le collège ferma définitivement ses portes en 1962.
L’éducation pour tous
Dans la première moitié du 20e siècle, bon nombre d’inégalités persistaient en ce qui a trait à l’accès à l’éducation. Seulement un élève sur deux terminait la 7e année et seulement 2 % atteignaient la 12e année[31]. Il fallut attendre l’arrivée des Libéraux au pouvoir, en 1960, avant d’assister à une réelle réforme de l’éducation et rendre cette dernière accessible et gratuite pour tous les citoyens, jusqu’à l’âge de 15 ans. Le rapport Parent (Commission royale d’enquête sur l’enseignement) de 1961 joua d’ailleurs un rôle important dans l’organisation et le financement de l’éducation, dorénavant administré sous la direction du ministère de l’Éducation. Les polyvalentes furent graduellement mises en place vers 1967 et les collèges classiques furent remplacés par des collèges d’études professionnelles ou des cégeps.[32]
Dans la région de Sorel, on assistera à une fusion des commissions scolaires municipales qui donna lieu à la commission scolaire régionale de Carignan au milieu des années 1960[33]. « Celle-ci réunit, au moment de sa création : Sorel, Saint-Ours, Saint-Roch-de-Richelieu, Sainte-Victoire-de-Sorel et Contrecœur.[34] » Cela amena également la création des écoles secondaires Fernand-Lefebvre, à l’emplacement de l’ancien collège Mont-Saint-Bernard, et Bernard-Gariépy, dans le secteur Tracy. Quant à la vieille école protestante située sur la rue Élizabeth, elle fut détruite en 1955 et la commission scolaire protestante se dota de l’école secondaire Harold Sheppard High School[35], situé également du côté de Tracy.
Ce n’est que vers la fin du 20e siècle que l’on assista définitivement à la fin des commissions scolaires confessionnelles. « Au début de 1998, l’Assemblée nationale du Québec et le Parlement du Canada ont convenu de modifier l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 qui garantissait les privilèges catholiques et des protestants […] Cette modification a permis, en juillet 1998, de remplacer les commissions scolaires confessionnelles par des commissions scolaires linguistiques, francophones ou anglophones.[36] »
Le nombre de commissions scolaires diminua également considérablement, passant de 230 à quelque 72 commissions scolaires, dont 60 francophones, 9 anglophones, et 3 à statut particulier[37]. Cette loi apporta d’ailleurs des changements dans le rôle des commissions scolaires, en cédant davantage de pouvoir décisionnel au sein des établissements, par le biais de leur conseil d’établissement, composé à parts égales de parents et des personnels de l’éducation[38].
Avec la loi 40, adoptée en février 2020, le gouvernement provincial modifie 80 lois existantes. Rappelons que, bon nombre d’entre elles suivaient toujours les recommandations mises en place dans les années 1840, y compris celle concernant les commissaires scolaires. Depuis juin 2020, ce ne sont donc plus les commissions scolaires qui ont le mandat d’organiser les services éducatifs, mais bien les centres de services scolaires, gérés désormais par des conseils d’administration composés de parents, de personnels de l’éducation et de membres de la communauté[39].
Source de l’image mise de l’avant : Société historique Pierre-de-Saurel, I002, SS5, SS8. D1.
[1] Jean-François Roberge, « Projet de loi n° 40 », Assemblée nationale du Québec [En ligne] http://m.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-40-42-1.html (Consultée le 18 août 2020).
[2] Edward S. Hickcox, « Commission scolaire », L’Encyclopédie Canadienne [En ligne] https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/commission-scolaire (Consultée le 14 août 2020).
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Mathieu Pontbriand, Sorel et Tracy : un fleuve, une rivière, une histoire, Yvan Lamonde dir., Société historique Pierre-de-Saurel, Sorel-Tracy, 2014, p. 147.
[8] Ibid., p.148; Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec, « Le Bas-Canada, 1791-1841 », [En ligne] http://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/guides/fr/l-histoire-de-l-education-au-quebec-les-grands-textes-politiques-et-legislatifs/126-le-bas-canada-1791-1841?ref=221 (Consultée le 14 août 2020).
[9] Ibid.
[10] Ibid., p. 148-149.
[11] Azarie Couillard-Desprès, Histoire de Sorel ; de ses origines à nos jours, Montréal, Imprimerie des sourds-muets, 1926, p. 237.
[12] Pontbriand, Sorel et Tracy…,p. 150.
[13] Couillard-Desprès, Histoire de Sorel…,p. 237.
[14] Pontbriand, Sorel et Tracy…,p. 209.
[15] Ibid.
[16] Couillard-Desprès, Histoire de Sorel…,p. 238.
[17] Pontbriand, Sorel et Tracy…, p. 209.
[18] Ibid.
[19] Ibid., p. 210.
[20] Ibid.
[21] Amy Cournoyer, Regards sur notre histoire : Sorel-Tracy, 1642-2017, Sorel, Cournoyer publications, 2016, p. 39.
[22] Pontbriand, Sorel et Tracy…,p. 211.
[23] Couillard-Desprès, Histoire de Sorel…, p. 239 ; Pontbirand, Sorel et Tracy…,p. 339.
[24] Ibid., p. 240-241.
[25] Pontbirand, Sorel et Tracy…,p. 338.
[26] Couillard-Desprès, Histoire de Sorel…, p. 244.
[27] Ibid.
[28] Ibid., p. 245.
[29] Ibid., p. 247.
[30] Cournoyer, Regards sur notre histoire, Cournoyer publications, Sorel, 2016, p. 43.
[31] Andrée Dufour, « La révolution de l’éducation au Québec », Histoire Canada, [En ligne] https://www.histoirecanada.ca/consulter/canada-francais/la-revolution-de-l-education-au-quebec (Consultée le 14 août 2020).
[32] Ibid.
[33] Pontbriand, Sorel et Tracy…,p. 447.
[34] Ibid., p. 447-448.
[35] Walter S White, Pages from the History of Sorel, 1642-1958, Sorel, 1959, p. 15.
[36] Hickcox, « Commission scolaire»…, (Consultée le 14 août 2020).
[37] Ibid.
[38] Ibid.
[39] Roberge, « Projet de loi n° 40 »…, (page consultée le 18 août 2020).
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