chien devant porte avec femme. maison en brique

Licence et collier: la taxe canine à Sorel

Si le SAPDRS (anciennement le CAPS) est aujourd’hui mandaté par la Ville de Sorel-Tracy pour aider la gestion de la population animalière de la région, ça n’a pas toujours été le cas. Auparavant, c’était la municipalité seule qui s’occupait de faire appliquer ses règlements dans ce domaine… Mais depuis quand exactement ?

La charte de 1860

Il semble que dès ses premiers moments, la Ville de Sorel avait le droit d’imposer des taxes supplémentaires aux propriétaires de chiens ! En effet, lorsque l’ « Acte pour incorporer la ville de Sorel » est sanctionné par l’Assemblée législative en mai 1860, la ville adopte d’abord son nouveau nom (de William-Henry à Sorel) puis les règlements qui la constituent peu à peu.

Comme toutes les autres villes formées à cette période, les droits accordés à la Ville de Sorel sont sanctionnés par l’Acte des municipalités et des chemins du Bas-Canada adopté en 1855, mais répondent aussi à la réalité locale pour rencontrer « […] les besoins actuels de la ville ou bourg de William Henry ou Sorel, et qu’il est devenu nécessaire de pourvoir à des plus amples dispositions […]1 ».

Les premiers règlements

L’un de ces règlements, le numéro 34, concerne le prélèvement d’une taxe générale de la municipalité, qui sont justifié: « Afin de réaliser les fonds nécessaires pour faire face aux dépenses du dit conseil-de-ville et pour effectuer dans la dite ville les diverses améliorations publiques nécessaires […]2 ». Plus spécifiquement, le sous-numéro 6 indique que la municipalité est en droit de demander une taxe : « Sur tout chien gardé par les personnes résidant dans la dite ville, une somme annuelle de cinquante centins; pourvu cependant qu’aucune taxe ne sera payée pour ou à l’égard des chiens gardés par les cultivateurs sur leurs fermes.3 »

À cette époque, il faut savoir que les chiens ne sont pas les seuls animaux à être taxés. Dans le même règlement, on demande des suppléments aux propriétaires d’étalons (pour la monte), de cheval de louage, de taureau, de bélier et de toutes autres bêtes à corne4.

À vrai dire, on donne droit à la ville de taxer à peu près toutes les possessions des citoyens: de leur « sleigh », aux fonds de marchandises, en passant par les banques, si l’on pratique un métier libéral, les théâtres, les locataires, les compagnies d’assurance; bref, la ville a la panacée de choix pour imposer une taxation à la mesure de ses besoins.

La Ville de Sorel se penche d’abord sur le contrôle des animaux, avec l’adoption de son premier règlement à cet effet en 1863. Cela ne semble pas avoir soulevé les passions. La Gazette de Sorel mentionne dans son édition du 24 octobre que le conseiller McCarthy propose l’adoption de deux nouveaux règlements à la prochaine séance, dont celle sur les taxes des chiens, mais le journal n’en donne pas suite, même si la résolution est bel et bien adoptée à la rencontre du conseil du 27 octobre5.

Il est possible que le contenu entre la gestion de l’animal et sa taxation ait été séparé, puisqu’on semble avoir reporté la discussion sur le prix des licences à l’année suivante, lors de l’adoption du premier règlement sur les taxes municipales.

Difficulté d’application

La question des chiens reste sans suite pendant plusieurs années. Les rares modifications apportées au règlement confirment qu’il est peu contesté par la population. Au début des années 1870, il y a bien une discussion sur son contenu, entre autres pour explorer la possibilité que la ville puisse disposer des chiens dont les propriétaires n’ont pas payé leur taxe6, mais aucune modification n’est officiellement considérée.

Le Sorelois, 1er juin 1888, p. 3

Le nœud du problème semble être surtout la situation des non-payeurs, qui devient de plus plus pressante. En 1886, la Ville adopte des amendements plus précis à ses règlements pour faire respecter la taxe et, au début du mois de juin 1888, un avis est publié dans le journal local pour rappeler aux citoyens et propriétaire de chien qu’ils doivent payer la taxe qui leur incombe et d’identifier leurs animaux à l’aide d’un collier.

Le chef de police n’attend pas. Dès le 7 juin, il rappelle qu’à partir de cette date, « […] tous les propriétaires de chiens que si la taxer imposée sur ces animaux n’est pas payée sans délai, ils seront impitoyablement poursuivis.7 »

Pourtant, ce n’est qu’en août qu’on entreprend des mesures plus sérieuses. Une note dans le journal local nous indique que la majorité des propriétaires ont payé leur dû, avec quelques retardataires: « […] la ville en contient [des chiens] parait-il entre cent quarante à cent cinquante; sur ce nombre, le chef de police est parvenu à faire payer la licence à cent dix-huit. […] Jusqu’à présent, une demi douzaine ont payé le tribut en voulant s’exempter de l’impôt.8 »

De toute évidence, ces payeurs ne désirent pas se conformer à la loi, puisque trois jours plus tard, la Ville poursuit une douzaine de personnes qui « […] gardent des chiens sans avoir payé la taxe imposée sur ces quadrupèdes.9 » On ne sait pas si la menace de poursuite a été suffisante pour dissuader les retardataires, puisque les journaux Le Sud et Le Sorelois n’en font pas mention, mais cela n’empêche pas que le même jeu se répète dans les années suivantes, entre les paiements exigés et les propriétaires qui ne paie pas avant.

Par exemple, la même situation se répète en 1891, mais cette fois, le chef de police est plus rapide à cibler les propriétaires de chiens et de « […] commencer […] à prendre des procédés contre [ceux] […] qui refusent de payer la taxe exigée par le Conseil.10 »

Territoire et justification

La taxe sur les chiens n’est ni nouvelle ni unique à la Ville de Sorel. Déjà en 1865, on débattait de la question pour imposer une taxe d’une piastre dans le Haut-Canada11.

Au Québec, plusieurs nouvelles municipalités (qui sont incorporées au même moment que Sorel) s’accordent aussi aux pratiques de leurs contemporains, mais elles n’ont pas toutes les mêmes demandes envers leurs citoyens.

Par exemple, dans une plus vieille ville comme Montréal, on demande que l’animal porte un collier contenant le nom de baptême ou le surnom de son propriétaire, sous peine à ce que l’animal soit retiré et abattu par le chef de police12. Ce même règlement nous indique que ces mesures sont prises par le conseil pour réduire « […] les inconvénients et du danger qui résulte du grand nombre de chiens errants dans cette cité […]13 ». On souligne d’ailleurs le passage d’un animal « enragé » qui mordille d’autres chiens et qui ère dans les rues de Montréal à cette date.

Parmi les villes et villages plus proches d’ici, Saint-Aimé14 et Saint-Pierre-de-Sorel15 ont notamment tous deux des taxes portant sur les chiens au cours du 20e siècle.

Société historique Pierre-de-Saurel, Fonds Famille Charbonneau, P163, S2, SS1, D1, Famille et amis.

Conclusion

Les règlements sur les chiens ne datent donc pas d’hier ! Loin d’être le seul animal à être ciblé par la législation16, le chien a toutefois une place particulière pour les édiles. Au même titre que les bêtes à cornes, on taxe et licence leur existence puisqu’ils sont la propriété de leur maître, mais les chiens ont cela de plus qu’ils représentent un danger public par les maladies qu’ils peuvent propager ou par leur comportement plus difficile à contrôler. C’est ce qui justifie en tout cas la position du conseil de ville de Sorel en 1863. Pendant longtemps, elle n’était pas seule à imposer sa réglementation, ayant la police municipale à ses côtés. Depuis, on a toujours demandé aux propriétaires d’identifier leurs animaux et de les enregistrer à l’hôtel de ville ou chez ses partenaires.

  1. Acte pour incorporer la ville de Sorel, S. C., Victoria 23, chapitre 75, cap. LXXV, p. 376. ↩︎
  2. Ibid., p. 375. ↩︎
  3. Ibid., p. 360. ↩︎
  4. Ibid., p. 375. ↩︎
  5. Concernant les chiens qui rodent ça et là dans la ville de Sorel et pour imposer un droit annuel sur eux, district de Richelieu, Ville de Sorel, règlement n­° 39, adopté le 27 octobre 1863. ↩︎
  6. [s.a], « PROCEDES DU CONSEIL DE VILLE », La Gazette de Sorel [Sorel-Tracy], 23 février 1870, p. 2. ↩︎
  7. [s.a], « Avis », Le Sud [Sorel-Tracy], 7 juin 1888, p. 3. ↩︎
  8. [s.a], « Chiens », Le Sud [Sorel-Tracy], 15 août 1888, p. 3. ↩︎
  9. [s.a], « Poursuite », Le Sud [Sorel-Tracy], 18 août 1888, p. 3. ↩︎
  10. [s.a], [s.t], Le Sud [Sorel-Tracy], 30 juin 1891, p. 4. ↩︎
  11. [s.a], « La taxe sur les chiens », L’Ordre: union catholique [Montréal], 28 août 1865, p. 1. ↩︎
  12. [s.a], « Proclamation », La Minerve [Montréal], 2 août 1865, p. 4. ↩︎
  13. Ibid. ↩︎
  14. [s.a], « Paroisse de Saint-Aimé », La Gazette officielle du Québec [Québec], 20 janvier 1951, p. 37 ↩︎
  15. [s.a], « Même taux de la taxe foncière à Saint-Pierre-de-Sorel », Le Nouvelliste [Trois-Rivières], 24 décembre 1968, p. 6. ↩︎
  16. En pense entre autres aux cochons, dont la gestion est contrôlée très tôt dans l’histoire de la Nouvelle-France. Voir William Riguelle, « “Comme c’est un animal impur, on pourra le tuer”. La gestion des porcs dans les villes du Canada pendant la période française (1608-1763) », Journal of the Canadian Historical Association / Revue de la Société historique du Canada, Volume 34, numéro 2, 2024, p. 73–113. ↩︎
Catégorie(s) : Histoire locale

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