La Colonne de la liberté et la condamnation de Louis-Joseph Papineau

Nous avons récemment acquis une collection de la correspondance de Louis-Joseph Papineau, par un don de M. Georges Aubin, qui a effectué une recherche exhaustive sur ce dernier et certains membres de sa famille. Lors de ses recherches, il a rassemblé en volumes cette correspondance en reproduisant les originaux qui sont conservés dans divers centres d’archives. C’est par la lecture de cette correspondance (et dans ce cas-ci, ses copies) qu’il est possible de cheminer le parcours de ce fameux personnage dans l’histoire du Québec.

L’implication en politique de Louis-Joseph Papineau l’amena à souvent être éloigné des membres de sa famille et à développer un réseau social entretenu par une correspondance particulièrement abondante.  Il siégea sans interruption de 1808 et 1837 à l’Assemblée législative du Bas-Canada à Québec tandis que sa famille habitait plutôt leur résidence de Montréal. Entre 1838 et 1845, il vécut en exil aux États-Unis et en Europe avant de retourner au Canada (Canada-Est/Québec). À son retour, il se concentrera au développement de sa seigneurie, Petite-Nation, alors que sa femme resta à Montréal.

Parmi l’ensemble de cette correspondance, une lettre très privée et confidentielle, envoyée par Louis-Joseph le 18 décembre 1837 et qui est adressée à George Bancroft, un historien, est particulière. Écrite lors de son exil, on y apprend que Louis-Joseph Papineau est accusé de haute trahison et que sa tête est mise à prix ! Selon une courte recherche que nous avons effectuée, il serait le premier Canadien à se voir accusé de ce chef d’accusation. Voici en résumé et dans les mots de M. Papineau lui-même la précipitation des événements qui mena aux premiers véritables affrontements militaires entre les Patriotes et l’armée britannique dépêchée à St-Charles-sur-Richelieu à l’automne 1837 :  

 » La dernière assemblée de comté eut lieu à Saint-Charles le 23 octobre [1837]. Elle n’était ni plus ni moins répréhensible que tant d’autres ouvertement convoquées de toutes parts depuis six mois sur tous les points de la province. Une circonstance triviale, un accident fortuit et en soi de nulle importance, a fourni un prétexte au gouvernement de s’abandonner à sa soif effrénée de domination arbitraire, à ses désirs de vengeance. Les citoyens qui avaient convoqué cette assemblée m’avaient invité à y assister, j’y avais accédé. Quelques-uns d’eux, je ne sais qui, le gouvernement le sait encore moins, s’avisèrent d’élever une colonne avec l’inscription trop complimentaire de : «À Papineau, ses concitoyens reconnaissants ». Cette colonne était surmontée d’une mâture portant un bonnet. Quelques feuilles [journaux] ont dit que c’était un arbre de la liberté. Les avocats de la couronne, trois semaines plus tard, après grave et mûre délibération, ont décidé qu’enfin les patriotes s’étaient compromis et perdus ; que des discours et des résolutions, quoique blâmables, n’auraient pas suffi pour les faire condamner, mais que cet arbre de la liberté était un overt act de trahison, un fait indicatif de leur détermination de s’affranchir. Cette conclusion était si inepte et illogique que dans tout autre pays il serait convenable de la mépriser et de subir un injuste procès. »

 » Le secret de cette infâme opinion transpira quelques heures avant que tous ceux qui y avaient joué un rôle marquant fussent arrêtés. Les officiers de l’assemblée, présidents, vice-présidents, secrétaires, moteurs de propositions et leurs secondeurs, résidaient pour la plupart dans les villages voisins à Saint-Denis, Saint-Charles et Saint-Marc. Six mille électeurs et plus y avaient pris part, sans soupçonner qu’ils avaient été si grandement coupables. Quand ils surent que leurs chefs devaient être enlevés pour ce prétendu délit, ils se portèrent en foule à leurs demeures pour leur dire : « Nous sommes tous ensemble également fautifs ou excusables, nous ne voulons pas que vous soyez enlevés. » La première réflexion portait à croire que ces arrestations seraient en premier lieu tentées par le pouvoir civil. Et ce ne fut qu’un jour ou deux avant l’événement que l’on commença à conjecturer que le militaire serait employé à ces expéditions. Il n’y avait pas le temps nécessaire de faire des préparatifs de résistance proportionnés aux moyens d’agression. »

 » Huit cents hommes bien armés ont été employés à ce service, pour l’appréhension, dira-t-il, d’une douzaine d’individus. Non, il voulait commencer la guerre civile pour frapper de terreur, dans un long avenir, un peuple qui supporte impatiemment la dégradation qui est attachée inséparablement au régime. » [1]

Mais pourquoi cet arbre (colonne!) provoqua à ce point les autorités britanniques ? Assez en tout cas pour qu’ils se sentirent justifiés de porter ces graves accusations contre Louis-Joseph Papineau ? Un peu de recherche vous permettra chers lecteurs de découvrir que ce même symbole, colonne de la liberté ou poteau, fut utilisé auparavant par les Révolutionnaires lors de la Révolution américaine (1776) et française (1789).

Un « poteau de la liberté » (Liberty Pole en anglais) est un grand poteau de bois, souvent utilisé comme porte-drapeau, planté au sol, qui peut être surmonté par un insigne ou un bonnet phrygien. Quand un drapeau était en place (le plus souvent rouge) sur un poteau, c’était un appel aux Fils de la Liberté ou aux citadins afin qu’ils se rencontrent et expriment leurs opinions vis-à-vis des règles britanniques. Le poteau était considéré comme un symbole de dissidence face à la Grande-Bretagne. Ce symbole apparait dans beaucoup de sceaux et blasons pour exprimer la liberté et l’indépendance.

Voici une expression dont nous avons peut-être perdu la signification ; la définition de crime de haute trahison se lit ainsi : L’acte ou l’action méritant la qualification de haute trahison est un crime qui consiste en une extrême déloyauté à l’égard de son pays, de son chef d’État, de son gouvernement ou de ses institutions.  Voilà comment ce signe d’approbation sociale fut perçu comme un crime et dont on en accusa Louis-Joseph Papineau.

Le 30 novembre, le Colonel George Augustus Wetherall et ses troupes arrachèrent la colonne de la terre après leur victoire de la Bataille de Saint-Charles et l’apportèrent à Montréal comme trophée de guerre, accompagnée de nombreux prisonniers. En 1982, grâce au Comité des Patriotes et du Ministère de la Culture du Québec, une réplique fut élevée à son emplacement original présumé et s’y trouve encore aujourd’hui.

Préférant l’exil à la perspective d’être pendu, Louis-Joseph Papineau passa quelques années loin de son pays et des siens. Entre temps, 108 patriotes bas-canadiens seront traduits en cour martiale entre le 6 décembre 1838 et le 1er mai 1839, suite à la suspension de l’habeas corpus le 8 novembre 1838. Parmi eux, neuf détenus seront acquittés et 99 seront condamnés à mort. 12 patriotes sont pendus publiquement. Toujours sur les 99 patriotes condamnés à mort, 58 voient leur sentence commuée en déportation vers l’Australie le 27 septembre 1839 et 29 sont libérés sous condition ou caution. Les déportés seront graciés en 1843, et rentrèrent au pays en 1845.


[1] Aubin, Georges, Louis-Joseph Papineau, Lettres à divers correspondants, 1810-1871, Tome I (1810-1845) Montréal, Les Éditions Varia, collection «Documents et Biographies, P.382-383

Comme lecture rapide, Wikipédia vous propose un article sur la Colonne de la liberté. Vous pouvez également consulter la liste des 108 patriotes bas-canadiens qui ont été traduits en court martial.

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