Carte postale

« Mon cher petit minou… »

Depuis plus d’une cinquantaine d’années, l’univers numérique a profondément changé les habitudes de vie de millions d’individus à travers le monde. En archivistique, il a remis en question plusieurs notions que l’on pensait acquises, comme la définition même d’un document1 ou les tenants de sa conservation, lorsqu’il est né numérique. Dans le cas des correspondances, on s’imagine facilement la complexité que la transition entre le papier et les courriels (pour ne pas dire les messages textes) représentent pour les archivistes.

Le format numérique, s’il a l’avantage d’être discret, est rarement le gage de la conservation de ces liaisons intimes. Comment faire la transmission et la diffusion de ses écrits, alors que la nature même des messages électroniques est éphémère ? Cette question ne s’arrête pas seulement aux échanges passionnés – mais en ce 14 février, il nous semblait à propos de se pencher sur les lettres envoyées par la poste et conservées dans nos archives et qui illustrent les passions d’autrefois. Comme on le verra, on retrouve de tout dans ces correspondances, des refus aux plus grandes demandes !

À toi pour toujours

Société historique Pierre-de-Saurel, Fonds Émile Bernard et Bernadette Cullen-Bernard, P278, S8, SS5, Augustine Lefebvre.
Un code secret ?! Tous ceux qui ont déjà suivi un cours de sténographie reconnaîtront sans doute l’écriture simplifiée qui caractérise cette méthodologie. Serez-vous capable de lire la lettre ? Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/St%C3%A9nographie
Société historique Pierre-de-Saurel, Fonds Émile Bernard et Bernadette Cullen-Bernard, P278, S8, SS5, Augustine Lefebvre.

La majorité des lettres « quotidiennes » du début du siècle sont écrites sur un papier standard, plié en quatre comme en feuillet, que l’on préférait ainsi pour économiser du papier. Dans les cas où la correspondance était très éloignée (et dont les timbres étaient beaucoup plus chers), on préférait communiquer par télégraphe. C’est le cas de la courte correspondance entre Paul-Amable Lussier et Elsie Pfaff ; l’un était en Terre-Neuve-et-Labrador pour un contrat avec les assurances Lussier et l’autre à Montréal.

Leur correspondance, qui s’étale dans nos dossiers du mois de mars au mois de mai 1953, fut écrite sur plusieurs formes de lettre, soit des copies au carbone de lettre manuscrite, de lettre écrite à la main, de télégraphe et de cartes de souhaits.

Les difficultés d’acheminement de la poste

Pendant la courte période de leur échange, on peut lire sur les activités de Paul-Amable lors de son passage à Goose Bay (aujourd’hui Happy Valley-Goose Bay) et du désir des deux amoureux de se rencontrer à son retour à Québec.

Le ton de la correspondance est léger, porté aux élans d’amour et aux belles métaphores. La correspondance des deux amants commence, dans nos archives, comme toutes celles de cette période, avec des beaux mots: « Comme le soleil est à peine levé, j’ignore si l’oiseau des airs s’est déjà envolé. Si oui, ce mot ne t’atteindra que jeudi prochain; si non, lundi ou mardi, je suppose. En tout cas, la nature est tellement belle ce matin, le ciel est tellement pur, l’air sent tellement bon…2 »

Société historique Pierre-de-Saurel, Fonds Madeleine Blanche Lussier, P274, S4, SS1, D6, Lettres d’Elsie Pfaff.

Un grand drame les guette pourtant à quelques jours de Pâques, alors que Paul n’a pas reçu de nouvelles d’Elsie depuis quelques semaines. Il semble que ce ne soit pas un manque de sa part, dont il reçoit une lettre quelques jours plus tard. Elle lui affirme comme quoi elle lui a bel et bien envoyé des lettres et même un colis pour l’occasion; qu’elle fût terriblement seule pendant la période de Pâques et qu’elle regrette qu’il ne se soit pas vu. On devine sans peine l’inquiétude dans la réponse d’Elsie, qui demande à Paul-Amable s’il ne veut plus lui parler à cause de ce silence.

Est-ce que la distance expliquerait les difficultés de communication ? On peut s’en douter, bien que les correspondances précédentes ne font pas mention de perte, même lorsque ce sont des colis qui sont envoyés à Montréal. Dans ce cas-ci, le temps de l’année y est peut-être pour quelque chose, entre autres à cause de l’activité dans la poste autour des vacances de Pâques.

Des mots doux ou de déception

Les propos échangés entre Paul-Amable et Elsie sont les plus souvent doux, mielleux ou intimes, prenant une forme plus ou moins conventionnelle selon l’inspiration de son auteur.

Société historique Pierre-de-Saurel, Fonds Madeleine St-Martin, P068, S3, SS4, D26, Lettres intimes.

D’autres fois pourtant, les échanges ne sont pas aussi romantiques. C’est le cas de certaines lettres de Madeleine St-Martin, qui rejette à deux reprises deux de ces correspondants. Le premier, Tony, lui reproche un manque de rapprochement, ou du moins, qu’ils devraient se voir plus souvent.

Pour Richard, la réponse de Madeleine quant à ses avances est très claire :

Société historique Pierre-de-Saurel, Fonds Madeleine St-Martin, P068, S3, SS4, D26, Lettres intimes.
Société historique Pierre-de-Saurel, Fonds Madeleine St-Martin, P068, S3, SS4, D26, Lettres intimes.

À son opposé, on retrouve dans notre voûte des cartes postales qui contiennent des passages empreints d’une grande vulnérabilité.

C’était le cas de Paul-Arthur Lavallée et d’Albertine Tremblay. Le premier, qui est un associé à la Banque Hochelaga (aujourd’hui la Banque Canadienne Nationale) est intéressé par la Sorel Mechanical Shops au début des années 1910. En partie actionnaire en 1916, il en devient le seul propriétaire en 1928. Lors de la consolidation de Marine Industries, les « ateliers mécaniques » y sont fusionnés. Au cours de sa carrière, Paul-Arthur deviendra contrôleur et directeur de Sorel Industries et Marine Industries, Sorel Steel Foundation et Sincennes McNaughton Tugs.

Nous ne possédons pas les débuts de sa correspondance avec Albertine, qui est à Montréal, ni ses réponses aux cartes portales de Paul-Arthur, mais il ne fait aucun doute qu’ils sont amoureux : « Les belles heures que nous avons passées ensemble! Oui ! Ma chère amie […] moi aussi je voudrais pouvoir prendre mon envolé de nouveau. »

Ou encore

Mardi soir le 26 Dec. /11 – Je garde un si bon souvenir des quelques heures délicieuses passées en votre compagnie, hier soir, que je cède au désir de vous en remercier. Ce soir, je suis seul chez moi, et j’ai une demande : Pourquoi ces bonheurs sont-ils si courts ? M’adresserez-vous un mot… […] J’ai hate[sic] de vous lire et de vous revoire.3

Les quelques cartes en notre possession font état d’un moment important du couple, celui de la demande en mariage de Paul-Arthur :

19 avril 1912.

Vendredi soir, 10 hrs, Ma chère amie,

Vous savez que je vous aime, pourquoi alors ne pas laisser parler votre Coeur et m’[accorder?] les [voeux?] les plus intimes ? Vous savez, quand je vous ai adressé mon avant dernière postale, que le bonjour amical qu’elle vous apportait, partait du Coeur, et que je ne le faisais pas seulement par devoir ou par convention.

Vous savez, et vous l’aviez deviné avant que je vous le dise que je vous aime, parce que je sais trouver en vous un Coeur de femme, et non une tête de femme légère. Un Coeur de femme qui sait comprendre ce que l’amour peut donner de bonheur. /Le bonheur comme je le voudrais goûté vrai. profond et sublime même.  Aidez moi, dans une prochaine, que mes rêves ne soient pas de l’illusion. Je vous dis mon plus affectueux bonsoir, l’espace manque. Votre ami [Signature].4

Sans avoir la réponse de sa douce, on sait qu’elle lui dira oui ! Le couple restera ensemble jusqu’à leur mort respective, en 19605 pour Paul-Arthur et en 1975 pour Albertine6. Ils eurent deux enfants (Paul et Louise) et cinq petits-enfants.  

Société historique Pierre-de-Saurel, Fonds Paul-Arthur Lavallée, P322, S1, Correspondance.

Conclusion

Les lettres d’amour écrites autrefois avaient cet avantage d’être un objet tangible, par lesquelles ont garde des traces bien après leurs premières lectures. Les mots échangés, parfois doux, parfois moins tendre, font état d’une pratique qui, sans disparaître, est bien moins courante qu’elle l’était autrefois.


  1. Roger T. Pédauque, Document : forme, signe et médium, les re-formulations du numérique, HAL, URL: https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000511v1/document (Consultée le 14 février 2025). ↩︎
  2. SHPS, Fonds Madeleine Blanche Lussier, P294, S4, SS1, D6, Lettres d’Elsie Pfaff. ↩︎
  3. Société historique Pierre-de-Saurel, Fonds Paul-Arthur Lavallée, P322, S1, Correspondance. ↩︎
  4. Ibid. ↩︎
  5. « P. A. Lavallee », The Gazette [Montréal], 8 août 1960, p. 35. ↩︎
  6. « Nécrologie », La Presse [Montréal], 31 mars 1975, p. 12 (Cahier D). ↩︎
Catégorie(s) : Archives

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *