Portrait

Jean « Picolo » Dontigny, le vendeur de rêve.

Parmi les visages connus et appréciés de Sorel, on ne peut pas passer à côté de M. Jean « Picolo » Dontigny. Vendeur de billets pour Loto-Québec au courant des années 1970 à 1996, cet individu, qui a certainement laissé des souvenirs dans la mémoire de ceux qui l’ont rencontré, avait développé un style bien à lui. Avec des chansons éloquentes et des vêtements originaux, M. Dontigny a su tirer son épingle du jeu dans le monde de la vente itinérante et dans le cœur des Sorelois.

De Montréal à Sorel

Né en 1922, Jean Dontigny est le fils de Charles-Édouard Dontigny et de Georgianna Kane. Venu au monde dans une famille de 7 enfants de Montréal, il est logé sur la rue De Montigny, en partie aujourd’hui le boulevard De Maisonneuve. Lancé très tôt dans le monde des affaires, on pouvait le trouver sur la rue Sainte-Catherine pour vendre des journaux aux passants. Les techniques de vente alors utilisées pour accoster des acheteurs potentiels ne sont pas étrangers au métier qu’il fera quelques décennies plus tard !

Jean Dontigny s’est enrôlé dans l’armée en 1941, mais il ne termine pas son service militaire. En effet, il est dispensé près de 193 jours plus tard parce qu’on le déclare « unfit » à toutes tâches dans la Royal Canadian Air Force. Société historique Pierre-de-Saurel, P334.

En effet, si l’expérience a été enrichissante, ce n’est pas sous ce domaine que M. Dontigny est d’abord connu dans la région de Sorel. Concierge à la Compagnie Celanese qui s’est installé dans la région en 1948, ce n’est que 20 ans plus tard qu’il se lancera dans la vente itinérante.

Un changement de carrière comme celui-ci n’est pas inhabituel, mais il est plus rare de le faire pour un emploi qui n’a jamais été réalisé avant et surtout, d’en obtenir d’aussi bons résultats. Par exemple, on dit que « Picolo » aurait été le premier à proposer le service de vente itinérante à Loto-Québec. Cela, sans être une affirmation confirmée, souligne toutefois la réputation de M. Dontigny parmi les gens qui l’ont connu et l’ancienneté de son emploi pour la société d’État. Après tout, ce n’est qu’à partir de 1969 que les provinces ont le droit d’exploiter les jeux de hasard et d’argent(1) et que M. Dontigny y commencera une carrière de plus de 25 ans.

Un métier vieux comme le monde

Société historieque Pierre-de-Saurel, P334.

Dès sa première année d’existence, Loto-Québec propose trois premiers tirages, soit la Mini-loto, la loterie mensuelle et la Super-loto, respectivement 50 sous, 2 dollars et 4 dollars. Tout comme les billets d’aujourd’hui, ces derniers étaient enregistrés dans une machine qui officialisait leurs ventes. La créativité et le succès de « Picolo » se tenaient donc dans l’organisation nécessaire autour de ce système, soit d’enregistrer les billets à l’avance. Situé dans le salon de leur maison sur la rue Provost, c’est aux petites heures chaque matin que Mme Cécile Dupuis, sa femme, s’installait pour enregistrer ces billets. Bien entendu, le tout était préparé avant le départ de son mari pour son tour municipal.

Les matins étaient dédiés aux usines, comme la Marine Industries, qui étaient des places de choix à cause du nombre élevé de travailleurs, et le midi aux restaurants, rempli à l’heure de pointe. Dans le cas où un client désirait recevoir un billet avec une suite de numéro prédéterminée, il devait payer à l’avance son billet. Celui-ci était préparé le soir même et disponible pour être ramassé au domicile de la rue Provost. Cette routine était perturbée à l’occasion d’événements comme des matchs sportifs ou des festivals, qui permettaient de rejoindre un grand nombre d’individus.

Lors de notre publication Facebook sur le sujet, l’un des éléments qui ont ressorti des commentaires était ses chants dont les airs ne passaient pas inaperçus ! Il n’est pas étonnant de constater qu’en plus de sa gentillesse, c’est la musicalité de sa présence qui a marqué ceux qui l’on connut, puisque cette technique était aussi utilisée par les crieurs de rues européennes du Moyen Âge et de l’Europe moderne pour attirer l’attention de leurs clients(2). C’est-à-dire que chacun des corps de métier utilisait des chants qui avaient une tonalité différente (grave ou aiguë) pour se distinguer parmi les autres crieurs. Cette méthode de vente a été enregistrée par Antoine Truquet en 1545 dans son ouvrage sur les crieurs de Paris(3). Par exemple, un « crocheteux » pouvait crier aux intéressés :

Je crie cottrez/bourrce & bufches / Aucune ffois fagots/falourdes / Quand Voy que point on ne me huche/ Je dy achetez femme lourdes »(4)

La distinction des tonalités entre les crieurs était fort utile dans les places de marché ou les grandes rues, où les passants pouvaient identifier facilement l’objet crié. À Sorel, ce phénomène fonctionnait particulièrement lorsqu’il était question de la Mini, le meilleur vendeur de M. Dontigny. Comme le chantais « Picolo » :

« J’ai dit : t’en fais pas, Fernand ; Tu l’auras ton gros lot ; De ton ami Picolo ; Le roi de la Mini-Loto ; Oh! Oh! c’est Picolo Mini-Loto !

Comme le raconte Loto-Liaison : «  »Picolo » saisi en plein exercice de ses fonctions, en train de vendre des billets à M. Camille Nadeau, dit  »Le chat », de Sorel. Comment pourrait-il jamais passer inaperçu avec un tel attirail! »

Une carrière bien remplie

Fin d’une carrière bien huilée, la réputation de Jean Dontigny n’était donc plus à faire à la fin des années 1970. Sa capacité de vente est telle que, lors d’une invitation à la populaire émission « Parle,Parle, Jase, Jase », il réussit à vendre des billets de Mini à son audience. Si le passage à la télévision est parfois un indice de gène pour certains invités, ce n’est clairement pas le cas pour M. Dontigny, qui propose également des billets de loto aux animateurs, qui remplaçait Réal Giguère cette semaine-là. Lorsqu’il est questionné sur ce sujet bien des années plus tard, le célèbre vendeur garde de bons souvenirs de son passage télévisé. « J’en avais vendu une bonne quantité ! » reportait-il à Loto-Liaison en 1980, la revue interne de Loto-Québec(5). Comme le souligne la revue, le réalisateur de l’émission ne savait plus où donner de la tête, puisque cet acte d’improvisation n’avait pas été discuté au préalable avec l’invité.

Le caractère inhabituel de ce vendeur expert ne passait donc pas inaperçu ! Comme le rapporte Loto-Liaison en 1980, « Picolo » est toujours un employé exemplaire même à 57 ans. Comme le reporte la revue : « Fort d’un itinéraire précis qui le conduit chaque jour, entre autres, dans les industries, les centres commerciaux, les banques, les restaurants et les tavernes de la région, M. Dontigny réussit à vendre 6500 billets de Mini et 1000 jeux de loterie instantanée par semaine, ainsi que 400 billets d’inter mensuellement, ce qui n’est pas un mince exploit !(6) » Mais son succès n’est pas seulement une prouesse individuelle. En effet, l’un de ses secrets de vente se tient dans les 2000 billets vendus à l’avance chaque semaine. Jean Dontigny attribue une grande partie de son succès à André Cournoyer, son distributeur, qui lui permet, selon lui, d’être un meilleur vendeur.

Il est certain que le succès de Picolo venait de sa détermination et du soutien qu’il a reçu de son entourage, mais surtout de ses manières qui ont su charmer les habitants de la région. Avec ses 40 chapeaux et ses macarons, Jean Dontigny s’est démarqué tout le long de sa carrière chez Loto-Québec et est devenu, avec les années, une institution locale. Connu par les Sorelois tant à leur travail que dans la rue, « Picolo » Dontigny a travaillé jusqu’aux dernières semaines de sa vie. En effet, plutôt que de prendre une retraite assumée, il s’est départi de sa machine à enregistrer que lorsqu’il fut certain de ne plus jamais pouvoir vendre ses billets à quiconque, soit deux semaines avant sa mort. Jean Dontigny décède le 2 décembre 1996 à l’âge de 73 ans.

Ce que d’autres ont dit…

Joane Dufault : Monsieur Picolo quel beau souvenir il disait: “encouragez Picolo avec son beau chapeau” tout un personnage ce monsieur Picolo.

Simone Brisson : Oui il en a fait du millage pour vendre ses billets il était partout

Johanne Girard : Je m’en souviens bien. Coloré monsieur que je croisais régulièrement à l’époque. Il était populaire.

Richard Laforest : Je me souviens très bien je travaillais a Marine Industrie il venait toujours au Colisée Cardin et dans les tavernes beau Souvenir

André Chabot : Il nous vendait des billets en haut à salle de quilles sur augusta 🤠

Jacynthe Veilleux : Qui ne l’a pas connu?

M-France Légaré : @Suzanne Cournoyer matante me semble que je vous entends encore dire, toute la gang, « Kin, v’là Picolo » puis lui acheter des billets…. ☺️☺️☺️J’étais pas vieille, tabatouette 🤦🏻‍♀️

Mylène Duchesneau : Ca fait parti de mon enfance toute les semaine il venait a la taverne du pont et on le voyait au Colisée Cardin au match des Riverain midget 3A 😍

Louise Millette : Moi j étais petite et j allais toujours lui demander de me chanter sa chanson, 🎶 Mini loto, super loto, inter loto, loto parfecta… Ect il me semble…

François Auclair : « Mini-Loto ! Inter-Loto ! 6/49 ! ». On n’oublie pas cette réplique, presque chantée ! 🙂

Jacques Millette : Il était un très bon gars toujours avec le sourire !!!!

Ève Martineau : Que de souvenirs, il venait nous voir quand on mangeait chez Reault !!

François Fortin : Oui je me souviens il allais dans toutes les endroits publics commence boling Sorel pis les club TK ya n’a vendus des billets

https://www.facebook.com/shpierre.de.saurel/photos/a.253372418110675/2611144885666738/?type=3&theater

Sources

(1)Loto-Québec, « Historique », [En ligne], https://societe.lotoquebec.com/fr/societe/historique (Page consultée le 30 avril 2020).

(2) Ce phénomène n’est pas un élément propre à la culture française. Par exemple, on retrouve les mêmes pratiques en Angleterre ou en Belgique pour la même période.

(3)Les « cris de Paris », ou plus généralement les « cris de ville », désignent l’univers des marchands ambulants, des petits métiers non qualifiés, des dispensateurs de services qui fourmillent dans les rues des villes anciennes. Situés aux plus bas échelons du salariat, ils inspirent à l’origine, la méfiance. Voir Sean Shesgreen, The Image of the Outcast: The Urban Poor in the Cries of London, Manchester, Manchester University Press, 2002, 228 pages.

(4) Antoine Truquet, Les Cris de Paris, Paris, Baillieu, 1545, p.4.

(5) [s.a], « ‘Picolo’ vend des billets de loto… comme il respire », Loto-Liaison, 1980, vol. 1, no. 6.

(6) Ibid.

Pour plus d’informations sur les genres de cris, vous pouvez consulter rapidement une page Wikipédia sur le sujet. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Cris_de_Paris#cite_note-7)

Un grand merci à Lise Dontigny, qui a pu nous apporter des précisions et des commentaires sur la vie de son père. Nous prenons l’occasion également de la remercier pour les dons d’images et de documents textuels qui nous ont permis de documenter la vie de cet homme extraordinaire !

Catégorie(s) : Histoire locale

3 réactions sur “Jean « Picolo » Dontigny, le vendeur de rêve.

  1. Monsieur Picolo venait toujours à notre bureau à l’éducation des adultes. Il était toujours de bonne humeur. Nous savions son horaire.
    Nous l’attendions à toute les semaines.

  2. Sorel a perdu en 1996 un fier descendant de Jacques Lucas dit Lépine et Françoise Capel qui ont laissé une descendance patronymique sous LÉPINE ET DONTIGNY :

    Jean Picolo DONTIGNY, le vendeur de rêves! Tout le monde le connaissait et l’aimait à Sorel, il vendait des billets de loto. Gentil avec les enfants qui le suivaient pour se faire chanter des chansons. Ses costumes nous fascinaient ! Un beau souvenir de ma jeunesse.

    Fils de Charles-Édouard Dontigny et de Georgianna Kane mariés le 16 janvier 1917 à Sorel, il est né à Montréal où sa famille a vécu. Il s’est marié à Sorel avec Cécile Yvette Dupuis, trois enfants dont une fille, Lise. Dans sa famille, le patronyme Lucas est délaissé pour celui de DONTIGNY tout court à la naissance de son ancêtre Jean-Jacques Dontigny né le 13 août 1768 à Champlain.
    https://shps.qc.ca/jean-picolo-dontigny-le-vendeur-de-reve/
    ET
    https://www.nosorigines.qc.ca/GenealogieQuebec.aspx?genealogie=Dontigny_Charles-Edouard&pid=462729

  3. J’ai assez bien connu Jean Dontigny car mes parents et moi demeurions a quelques maisons de la sienne sur la rue Provost mais surtout a cause de ses deux fils , Jacques et Gérard qui étaient mes amis , surtout Jacques qui était du meme age que moi . Je crois qu’il avait fait de la lutte en amateur mais je n’ai aucun détail a ce sujet. Apart sa femme et ses trois enfants , dont Lise qui était plus jeune que nous , il y avait dans sa maison Adrien ( dont je ne connais pas le lien familial avec lui ) et une dame agée , la grand-mere de mes amis Dontigny , décédée alors que Jacques et Gérard étions toujours amis.
    Et oui il aimait bien composer des  » tounes  » incitant les gens a acheter ses produits . Une tres importante dont vous ne parlez pas ici et qu’il utilisait lors d’évenements tels les parties de hockey était celle-ci  » É-ba-beriba , moitié/moitié, 10 cents du billet…3 pour 25  » . Vraiment tres travaillant et surtout ……un champion dans sa facon de vendre son produit.

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